« Le style sartorial me permet d’être plus créatif » : l’interview de The Fattorialist – Déclic #2

9 min
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« Le style sartorial me permet d’être plus créatif » : l’interview de The Fattorialist – Déclic #2

9 min
Publié le : 17 mai 2021Mis à jour le : 4 octobre 2022

(Crédit photo de couverture : Romée de Saint Céran - Swann Paris)

Pour ce deuxième épisode de Déclic : retour en France, et plus précisément à Lyon. Il aime le dessin, les mocassins et l'univers sartorial d'une manière générale. Vous le connaissez peut-être sous son alias Instagram The Fattorialist : c'est presqu'un concept, comme une série de variations sur un même thème et c'est passionnant à suivre.

De la couleur, des textures et un grand supplément d'âme lié à une activité passion dont il a aussi fait un métier : chiner ici et là des vêtements avec une histoire. C'est la belle aventure du jour, et aussi ce que propose la plateforme de seconde main Vulpilist codirigée avec Maxime Pilard et dont on adorait déjà le Vestiaire du Renard.

Notre nouvel invité s'appelle Romée de Saint Céran. Et voici son histoire, son déclic et ses petites astuces avec le vêtement.

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© The Fattorialist

Premiers souvenirs du costume

« Je suis l’aîné d’une famille de cinq enfants, et, j’ai grandi dans un environnement plutôt classique : je n’ai jamais vu mes deux grands pères sans cravates, et mon père la portait toute la semaine de travail. Le vestiaire classique n’a donc jamais été une découverte pour moi, au moins dans ses codes : je n’y connaissais rien en artisanat, montage de vestes, de souliers, etc. En revanche, j’ai toujours vu les hommes de ma famille en veste et en cravate.

Ainsi j’ai très tôt eu un premier blazer à l’adolescence, ainsi qu’une paire de chaussures de ville que j’avais été acheter avec mon père pour les grandes occasions (mariages, cérémonies etc.). J’avais aussi récupéré le smoking d’un grand oncle que je portais quand j’étais invité à des soirées de rallyes parisiens. Mon père m’avait alors appris à nouer un nœud papillon, car il ne souhaitait pas (à raison !) que je porte un « machin » pré-noué ! Merci Papa.

Mais tout ceci était « dans l’ordre des choses » pour un jeune adulte en devenir, et mon premier souvenir sartorial vraiment personnel est venu un petit peu plus tard, vers mes 19 ans, quand je m’étais acheté une veste en tweed à chevrons que j’adorais porter dès que je le pouvais. »

L'adolescence, le style et Corto Maltese

« Au collège, j’ai vite compris que mes parents ne pourraient pas s’aligner sur les baskets de marque et les vêtements à la mode de l’époque (bombers SchottTimberland, polos Ralph Lauren etc.). Comme je pratiquais le scoutisme, j’adorais les treillis et autres vêtements militaires qui étaient bien pratiques au fond des bois.

J’ai découvert à cette époque les puces de Clignancourt, et cela avait été un déclic pour la seconde main, notamment le vintage militaire. En 3eme j’avais acheté un caban de la marine allemande, 4x2 boutons dorés, que je porte toujours (même si j’ai un peu plus de mal à le fermer !).

En relevant le col, je me prenais pour Corto Maltese, ce qui amène la réponse à ta question : mes influences de l’époque étaient clairement à chercher du côté de la bande dessinée (Corto Maltese donc, mais aussi XIII et Largo Winch) et du vestiaire militaire.

Bon, au quotidien, j’étais ultra classique, en jeans ou en chino avec un pull et une chemise. En terminale je m'étais acheté une paire de Puma Clyde, ce qui est sans doute ce que j'ai fait de plus déglingo ! »

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© The Fattorialist

Le déclic vers le métier de la mode

« J'ai commencé à travailler dans le consulting informatique (avec Geoffrey d'ailleurs 😉) dans un environnement très formel (costume cravate tous les jours). Dans la mesure où je n'avais pas le choix j'ai vite choisi d'en faire un jeu plus qu'une contrainte.

Je pense que c'est ce qui m'a amené à m'y intéresser, car ne faisant pas un gabarit standard, je ne pouvais pas aller acheter mes costumes dans les chaînes classiques. J'ai donc tôt dû me renseigner pour trouver des pièces à ma taille. Et de fil en aiguille j'ai découvert un univers qui ne m'était pas complètement inconnu, au moins en surface, et j'ai voulu creuser : d'abord grâce aux forums, aux blogs, puis aux rencontres physiques. »

Centres d'intérêt : du rugby au dessin

« Alors je m'intéresse au vêtement mais c'est assez monomaniaque : vestiaire classique masculin uniquement. Je n'y connais rien en mode, en denim, en sneakers, etc. Cela viendra peut-être avec le temps.

Sinon j'aime beaucoup le sport, j'ai pratiqué le rugby pendant plus de 15 ans et je suis un grand fan de foot (Olympique Lyonnais). On ne peut malheureusement pas aller au stade en ce moment, mais je n'ai qu'une seule hâte : retourner dans les travées du Groupama Stadium!

Je m'intéresse aussi à la géopolitique, ce qui m'a permis de travailler pour des magazines comme Conflits ou l'Incorrect, où j'illustre les pages monde. Un exercice que je trouve très sympa et très enrichissant.

Pour revenir au vêtement, comme je te le disais tout à l'heure, j'ai beaucoup farfouillé sur les forums, les blogs autour de 2010/12, cela a forgé ma culture sartoriale, que j'ai affinée par le contact avec le vêtement, les essais, les erreurs, etc.

Et devant toutes ces photos un peu parfaites sur les réseaux sociaux et sur Tumblr à l'époque, je me suis dit que cela manquait un petit peu d'humour, alors qu'il y avait tant à dire. Les Croquis Sartoriaux sont nés ainsi, sur le forum De Pied en Cap, avec des croquis dessinés sur des coins de feuilles, et puis au fur et à mesure je me suis équipé pour essayer de fournir un travail plus présentable.

Mais je n'ai aucune formation artistique donc je suis forcément un petit peu limité par moment ! Après, je ne cherche pas à être le meilleur dessinateur du monde. Les cravates et autres souliers ne sont qu'un prétexte pour parler de l'homme, de ses petits travers, de son rapport aux autres, au pouvoir, à la vanité, etc.

En essayant de garder une forme de tendresse pour mes personnages, étant moi-même ma principale source d'inspiration (et donc de moquerie !). Finalement les Croquis Sartoriaux sont plus un travail d'observation sociologique par le prisme du vêtement qu'un travail sur le vêtement à proprement parler. »

Le projet Vulpilist et la seconde main

« J'ai rencontré Maxime Pilard à l'époque ou il tenait le blog Paradigme de l'élégance, et nous avons très rapidement sympathisé. Il a lancé le Vestiaire du Renard en 2015, dont j'ai été un client assidu, et quand il a fermé son site en 2020, c'était avec une idée en tête : lancer un nouveau projet plus participatif.

Plutôt que de chiner des pièces, de les stocker, de les photographier et de les vendre, pourquoi ne pas proposer un espace ou chacun pourrait être vendeur, tout en garantissant une cohérence d'ensemble grâce au filtrage des annonces postées ? C'est à ce stade que Maxime m'a proposé de le rejoindre dans l'aventure, ce que j'ai fait avec enthousiasme.

Nous avions l'intuition qu'il y avait une place entre Vinted et le Vestiaire du Renard, et 7 mois après notre lancement, nous sommes plus que confortés dans cette idée : nous offrons aux vendeurs une visibilité auprès d'un lectorat ciblé, et aux acheteurs la garantie qu'ils n'auront pas de temps à perdre à farfouiller entre des vestes Celio et des chaussures Eram, toutes les pièces présentes sur le site ayant été validées à la main par nous !

Nous avons la joie de recevoir chaque jour des pièces d'exception (récemment des paires de John Lobb bespoke en éléphant, nous ne savions même pas que c'était possible !) et de permettre à des acheteurs en Europe, mais aussi en Asie et aux Amériques de se constituer une garde robe solide dans un budget cohérent.

Pour revenir sur la seconde main, comme je te le disais tout à l'heure, j'ai toujours aimé l'ambiance des puces. Que ce soit pour les vêtements, les bouquins, l'ameublement, etc. Je suis plus intéressé par la qualité intrinsèque du produit que par sa nouveauté.

C'est d'ailleurs lors d'une vente à Drouot, en voyant le style des antiquaires qui pouvaient porter des Berluti avec un jean destroy, une veste en tweed et un col roulé que j'ai eu une seconde naissance sartoriale : le style classique n'était pas nécessairement cantonné au costume gris du bureau. Je me rappelle être sorti de la salle d'enchère pour aller m'acheter une paire de doubles boucles bordeaux !! »

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©Vulpilist
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©Vulpilist
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©Vulpilist

Le style sartorial et la place du costume aujourd'hui

« J'aime le style sartorial car il donne un cadre d'expression dans lequel on peut s'amuser. Les variations de matières, de couleurs et de motifs ne sont pas infinies du tout. Les formes non plus, et cela me permet de stimuler ma créativité, plus sans doute que si j'avais une feuille blanche et que j'étais 100% libre.

D'ailleurs le weekend et les vacances je m'habille toujours de la même façon : chinos, chemise à col boutonné et pull marin l'hiver, bermuda, polo à manches courtes l'été. Le style sartorial me permet d'être bien plus créatif !

Le costume est pour moi évidemment en perte de vitesse, et les confinements récents ne vont pas arranger les choses. Si on prend les choses au niveau macro, les ventes de costumes s'effondrent, et pourtant, comme tu le dis, le style sartorial gagne du terrain. De nouvelles marques émergent chaque jour.

Je pense que ca n'est pas incompatible. La chute du costume a impacté les maisons mainstream, et les gens qui portaient le costume par obligation. Ne restent donc que ceux qui doivent encore le porter (cadres supérieurs, avocats, etc.) qui ont les moyens, et qui privilégieront le beau, et les passionnés bien sûr !

Donc cette tendance se fait certainement aux dépens des volumes de ventes mais je ne suis pas surpris que le style sartorial reste en croissance. Le succès de Vulpilist en est d'ailleurs la preuve ! »

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© The Fattorialist

Morphologie et astuces de style

« Ma morphologie (1m87, 120kg) a forcément impacté ma façon de m'habiller, puisque si j'avais pu jeune cadre m'acheter un costume chez De Fursac et qu'il tombe parfaitement, je ne me serais peut-être pas posé plus de question que cela.

La difficulté à m'habiller en prêt-à-porter m'a obligé à me renseigner pour trouver des pièces m'allant, puis à force, pour trouver ce qui m'allait le mieux. J'ai évidemment fait des erreurs, et j'en ferai encore, mais c'est plus le chemin qui est intéressant que l'objectif !

Pour les gros gabarits, mes conseils seraient tout d'abord de choisir des pièces qui soient proportionnées : les revers slims nous vont difficilement par exemple. Idem pour les cravates. Le sombre marche bien, même si je n'en suis pas particulièrement adepte.

J'essaie maintenant d'éviter les pièces trop déstructurées qui ne me mettent pas particulièrement en valeur. Un peu de plastronnage et de padding donnent de la structure. On dit souvent qu'il faut éviter les gros motifs quand on est costaud, j'en porte parfois sans que cela ne me paraisse déplacé, mais après tout peut-être l'est-ce ? »

Vestiaire personnel et pièces fétiches

« Oui, j'ai mes petites manies. Ma tenue par défaut sera une veste en tweed ou en cachemire, souvent de chez Cesare Attolini ou Kiton (chinée naturellement), une chemise à col boutonné, et une cravate à motifs (club, géométrique, floraux, Paisley selon l'humeur) souvent de maisons comme Drake's ou Marinella, un chino ou un pantalon en velours et une paire de mocassins en veau velours ou en cordovan.

Ça c'est mon "uniforme", qui peut s'alléger en terme de matières, ou s'enrichir d'un cardigan sans manches en fonction de la saison.  Et sinon je porte 9 mois sur 12 par dessus ça une M65 que j'avais chinée en Corée du Sud en 2007, passablement défoncée, mais qui fonctionne très bien avec tout ca. Je pense que c'est une de mes pièces fétiches celle-ci ! »

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© The Fattorialist

Conseils et introduction à l'univers sartorial

« C'est un monde très bienveillant. Puisqu'il n'y a plus beaucoup d'obligations de porter le costume et la cravate de nos jours, les gens qui le font le font par passion, ça n'est donc pas contraignant. Et puis même le style sartorial se casualise.

Un blouson en daim A1, une chemise à col boutonné, un chino et des chukkas peuvent composer une tenue sarto-compatible tout à fait sympathique. Les frontières entre les mondes sont très poreuses.

Pour la seconde main, je comprends les réticences. C'est une question de disposition d'esprit. Certains ne supportent pas l'idée qu'on ai déjà pu porter leurs vêtements. Chacun se fixe des limites. Moi par exemple je n'achète en seconde main que les pièces qui ne touchent pas la peau : veste, cravates, pochettes, souliers. Chemises quasiment jamais et pantalon c'est assez hybride, mais je ne préfère pas acheter d'occasion. D'autres n'ont pas de problème.

Une fois ceci surmonté, il faut se fixer des règles en seconde main : cela n'a à mon sens aucun intérêt d'aller acheter d'occasion des pièces venant de chaînes de fast fashion par exemple. C'est pertinent d'aller chercher des pièces plus durables, faites à la main, dans des matières nobles et qui pourront donc avoir plusieurs vies.

Le smoking que j'évoquais au début de notre échange en est l'exemple parfait : par définition ce type de tenue n'était pas porté tous les soirs, uniquement pour les grandes occasions. Elles s'usaient donc moins et étant réalisées sur mesure à la main, donc avec une meilleure longévité. Je l'ai récupéré à mon grand-oncle et mon fils pourra sans doute le porter.

Mais sans aller dans ces extrêmes, j'ai des costumes qui sont plus âgés que moi, et que je porte sans problème. L'astuce c'est aussi de privilégier les pièces qui n'ont pas été trop marquées par la mode de leur époque de conception (revers XXL dans les 70s, cran bas et épaules XXL dans les 80s, etc.). »

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© The Fattorialist

« Il y a des tendances dans le style sarto, c'est indéniable, mais les cycles sont tout de même plus longs. Je pense que cela vient d'une part des fabricants de tissus qui proposent à chaque saison des innovations qui vont impacter les collections des grandes maisons, et l'offre des tailleurs.

On a vu ainsi revenir le solarole seersucker pour l'été, des tweeds et des flanelles toujours plus variés pour l'hiver. D'autre part, il y a eu une incursion indéniable des designers dans l'univers sartorial.

Aujourd'hui, les tailleurs ne se contentent plus de réaliser les commandes de leurs clients, ils ont des styles régionaux (style napolitain, style parisien, etc.) ou même maison (comme par exemple les vestes dessinées par les cousins Cifonelli) qui sont très identifiables.

La casualisation permet aussi ces incursions, et on voit régulièrement des maisons "classiques" collaborer pour des collections avec des designers venant d'autres univers (comme Drake's et Aimé Léon Doré par exemple). Et évidemment, cela donne souvent de nouvelles idées. »

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