« Coup de torchon » : Henleys et tenues claires – Bobine

(Crédit photo de couverture : « Coup de Torchon » de Bertrand Tavernier, 1981 - IMAGO / United Archives)

LE PITCH : UN FLIC, UN BOUT D'AFRIQUE ET DE L'AMBIANCE DE SÉRIE NOIRE

Lucien Cordier est un policier du genre tranquille. Il évite soigneusement l'action, les prises de décisions et tout ce qui fait du bruit d'une manière générale. Il vit et travaille dans le village de Bourkassa Ourbangui à la fin des années 30. Ce personnage est interprété par Philippe Noiret, entre autres célèbre pour son rôle dans « Le Vieux Fusil »?Qui parmi vous se souvient de « C'est arrivé près de chez vous » ?, avec Romy Schneider.

À ses côtés : une femme, un « frère », une petite amie et toute une galerie de personnages pas franchement sympathiques. Vous le verrez, la ville entière a pris l'habitude de se moquer de Lucien Cordier. Pourtant, il se pourrait bien que notre homme se décide enfin à passer à l'action...

Avec « L'Horloger de Saint Paul »?1974, déjà avec Philippe Noiret., « Coup de Torchon » est l'un de mes films préférés de Bertrand Tavernier.

Le cinéaste a touché un peu à tout et abordé plusieurs genres cinématographiques, notamment à caractère historique, en costumes. Regardez par exemple « Capitaine Conan » ou « Que la Fête commence ».

Mais si l'Histoire est présente dans « Coup de Torchon », le film puise surtout librement son inspiration dans les livres de Céline ou de Jim Thompson et développe une veine plus naturaliste. Le sujet est noir, (a)moral, grinçant, mais pas dénué d'humour pour autant - les dialogues sont régulièrement savoureux.

Au casting : Philippe Noiret, un habitué du style déjà évoqué dans Bobine et grand amateur de chaussures. Qui d'autre que lui pourrait se sentir comme un poisson dans l'eau dans une boutique John Lobb ?

On trouve également la star en devenir Isabelle Huppert, les toujours épatants Jean-Pierre Marielle et Guy Marchand ou le chanteur cinéphile Eddy Mitchell. On peut enfin évoquer la présence de la très rare Irène Skobline?Elle a tourné avec Eric Rohmer, et c'est à peu près tout. et d'une fidèle du cinéma de Claude Chabrol : Stéphane Audran. À l'attention de nos lectrices : si vous êtes en panne de style, jetez par exemple un œil sur « Les Biches » en 1968 :

Bref, sur le papier, ça donne envie et les acteurs principaux vous en diront au besoin un peu plus dans cette petite archive INA. Côté vestiaire, c'est plutôt riche en enseignements aussi.

CE QU'IL FAUT VOIR CÔTÉ STYLE...

La météo du film étant de type plein soleil, ne vous attendez pas à y trouver d'épais manteaux d'hiver ou des tenues avec layering complexe. Non, tous les personnages s'habillent de saison et certains portent même la saharienne. Au programme donc : tenues légères, matières et couleurs adaptées.

Ceci étant, vous trouverez tout de même ici et là quelques pointes de style un peu plus décalées, en particulier chez Jean-Pierre Marielle, de loin l'homme le plus habillé du film. Vous verrez aussi que personne n'a jamais mieux dit « non » au cinéma que son personnage.

C'est culte. Mais ce n'est pas tout. Vous entendrez par exemple des choses comme « je ne porte pas de pyjama Madame, je mets des chemises de nuit ». Pour aller plus loin, voici trois bonnes raisons de (re)voir « Coup de torchon » par le prisme du vêtement :

1. LE HENLEY, L'ASTUCE DE PHILIPPE NOIRET POUR BIEN ATTIRER L'ŒIL

C'est un des marqueurs forts du style imprimé par Philippe Noiret dans « Coup de Torchon » : il porte très régulièrement le henley à manches longues, avec une paire de bottes et un ensemble veste et pantalon beige qui relève de l'uniforme de travail. Parmi ses autres petits trucs, un foulard plutôt long autour du cou et un bracelet en cuir.

Le henley est parfois synonyme d'aventures. Rien de semblable chez le personnage de Philippe Noiret :  l'aventure, le travail ou le courage ne sont pas tout à fait son truc. Le henley a donc une autre utilité : casser la monotonie du quotidien, apporter un brin de fantaisie. Pour la petite histoire, on sait d'ailleurs que Philippe Noiret a travaillé la couleur de son henley rose lui-même, avec son teinturier.

Vous vous souvenez peut-être des henleys à manches courtes de Don Johnson dans la série « Miami Vice » ? Souvent colorés pastel, ils apportaient beaucoup aux tenues très eighties du personnage.

Quelques années plus tôt, Philippe Noiret utilisait donc déjà cette technique pour donner du corps et de la couleur à son approche vestimentaire. Les henleys sont ici en rose ou bien en jaune pâle et avouons que le film ne serait pas tout à fait pareil sans eux. Pour tout savoir sur le henley, c'est ici :

2. LA COULEUR CLAIRE, L'UN DES ANTIDOTES VESTIMENTAIRES DE L'ÉTÉ

Ce n'est pas une légende urbaine : en cas de fortes chaleurs, on vous conseillera toujours d'aller vers des couleurs claires pour mieux supporter les rayons du soleil. Dans « Coup de Torchon », tout le monde en a d'ailleurs pris l'habitude : de l'uniforme beige pour Philippe Noiret ou Guy Marchand, des robes claires pour Isabelle Huppert et même du pantalon blanc pour Eddy Mitchell.

Ce qu'il porte en haut sur la photo ci-dessus, c'est ce que Philippe Noiret décrit comme « une chemise en cellular ». C'est un tissu en coton utilisé pour les sous-vêtements ou les chemises.

La couleur claire ne s'applique pas qu'aux tenues décontractées. Vous le verrez, Jean-Pierre Marielle affiche un style plutôt formel, fait de costumes, de cravates, de bretelles et de beaux souliers.

À une exception près, c'est le blanc, l'écru et le clair parfois agrémenté de rayures qui ont ses faveurs pour le costume. Mais on peut tout à fait imaginer des teintes claires plus faciles à porter, comme par exemple nos ensembles veste et pantalon Breno gris ou brun.

Si le choix de la couleur est important, celui de la matière l'est bien sûr tout autant :

3. LES MOTIFS ET LA LÉGÈRETÉ, UNE ÉVIDENCE FÉMININE

Du côté des femmes aussi, on privilégie les couleurs claires. Mais on ajoute également ici et là du motif et parfois même de la couleur - du rose, du lilas, du bleu. Vous trouverez par exemple chez Isabelle Huppert différentes robes légères, souvent avec motif et portées avec des talons.

C'est une évidence : les femmes du film ne manquent pas de style. Elles apportent aussi du mouvement et de la diversité dans les tenues. Philippe Noiret et ses camarades masculins se contentent plus volontiers de l'« uniforme ».

Bien sûr, les tenues de Stéphane Audran ne sont pas en reste?Et il en va de même pour Irène Skobline. : une robe à fleurs, une jupe blanche portée avec un haut bleu et à motif, un foulard noué dans les cheveux, etc. Cela n'a l'air de rien, mais vous découvrirez à la fin de cet article que ses tenues sont loin d'être ordinaires.

Bref, vous voyez globalement l'astuce vestimentaire du film : moins de vêtements, plus de légèreté et de clarté.

« Quand l’intérieur se dégrade, il faut soigner l’extérieur » disait Philippe Noiret à la fin de sa vie. On peut d'une certaine manière appliquer cette formule aux personnages de « Coup de Torchon ».

Car si les corps sont intacts, tout le reste se dégrade chez eux au fur et à mesure. Oui, leurs âmes sont noires et moches. Mais leurs tenues sont claires et bien senties. C'est à peu près l'idée du vêtement ici : donner le change. À propos du style et du moins de vêtements en été, vous pouvez en tout cas prolonger la réflexion ici :

...POUR EN ÉLABORER DES TENUES INSPIRANTES

1. POUR PRENDRE LA PAUSE OU PARTIR À L'AVENTURE

Sur cette photographie, Philippe Noiret a l'air tranquille et assuré. Vous ne trouvez pas ? À l'écran, vous lui verrez probablement un air moins décontracté et sûr de lui. En revanche, ce que l'on tient ici, c'est bien LA tenue du film.

Dans le détail : un chapeau de type aventurier, une veste beige qui hésite entre le militaire et le travail, un henley à manches longues bien patiné, un pantalon beige avec une coupe droite et confortable et une paire de chaussures en cuir qu'on appellera ici bottes plutôt que boots. En soi, c'est déjà une solide tenue de baroudeur. Comment ajouter quelques petites touches de style supplémentaires ?

Ça ne se voit pas à l'image mais il y a ce bracelet en cuir dont on a parlé plus haut, et surtout cette manière très nonchalante de porter l'écharpe ou le foulard. On imagine une matière légère, essayez du chanvre par exemple. Vous verrez enfin que la couleur s'inscrit dans le sillage de l'ensemble beige, de manière un poil plus foncée. Charismatique.

2. POUR VOIR LA VIE EN BLANC

Moins baroudeur mais tout aussi adapté pour les saisons chaudes, cette tenue d'Eddy Mitchell devrait une nouvelle fois vous donner envie de vous (re)mettre au pantalon blanc. La coupe est confortable ici aussi et bien sûr, c'est fait exprès. Les coupes relax et matières respirantes quand il fait chaud, c'est toujours mieux. Aux pieds, une paire de mocassins blancs portée sans chaussettes. Vous me direz que le mocassin blanc, c'est quand même osé. C'est vrai. Mais dans le contexte, ça fonctionne plutôt bien.

En haut, Eddy Mitchell porteune marinière blanche à rayures bleues : c'est un classique, toujours un peu connoté plaisancier ou vieux loup de mer mais on ne désespère pas de le voir un jour associé à de nouvelles images. Chapeau, pour conclure. C'est léger et facile à réinterpréter. Au passage, vous noterez sur cette photographie un autre aperçu des tenues femme, très réussies, du film. Simplicité et légèreté, donc.

3. POUR BROYER AUTREMENT DU NOIR

C'est LA tenue en noir du film. Ne vous laissez pas avoir par la pose, cette tenue s'inscrit dans un contexte bien particulier : le personnage d'Isabelle Huppert doit en effet assister à un enterrement.

Ici, la tenue ressemble à un ensemble Chanel. Un chapeau, des bas, un mélange de blanc et de noir qui allie sobriété et sophistication. À noter qu'on retrouve régulièrement des chaussures à talons dans « Coup de Torchon », ce qui dénote d'une certaine manière avec le paysage somme toute désertique du film.

Reste que cette tenue est évidemment très élégante. Au passage, Karl Lagerfeld a bien sûr déjà habillé le cinéma et Stéphane Audran en particulier, notamment dans ce film - eh oui, la mode se cache parfois là où ne l'attend pas.

Du noir pour l'ambiance, une pointe d'humour et des vêtements qui s'accordent avec le temps et le désert : voilà donc pour le programme de « Coup de torchon ».