« Les Oiseaux » d'Alfred Hitchcock : les vêtements sont verts de peur - Bobine

10 min
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« Les Oiseaux » d'Alfred Hitchcock : les vêtements sont verts de peur - Bobine

10 min
Publié le : 18 septembre 2022Mis à jour le : 18 septembre 2022

Souvent considéré comme le maître du suspense, Alfred Hitchcock s’intéressait de près aux vêtements de ses personnages. Dans « Les Oiseaux », il collabore une nouvelle fois avec la costumière Edith Head et révèle l’actrice Tippi Hedren. Petit retour sur la force de son style et de ses costumes, en compagnie de la journaliste et autrice écossaise Caroline Young.  

(Crédit photo de couverture : Tippi Hedren dans « Les Oiseaux », 1963 - photo IMAGO / Allstar)

Le pitch : Peur sur la ville et autres histoires de volatiles

Melanie Daniels est une belle et riche jeune femme de San Francisco. Tandis qu’elle visite un marchand d’oiseaux, elle est soudain abordée par un homme en costume, avocat de son métier, qui recherche un couple d’oiseaux inséparables pour l’offrir à sa petite sœur. Il s'appelle Mitch Brenner et il est du genre taquin et rentre-dedans.

Piquée au vif, Melanie Daniels mène sa petite enquête et décide de lui faire une surprise, en se rendant sur son lieu de villégiature, près de la côte, avec un couple d’inséparables. La petite ville s’appelle Bodega Bay. Arrivée sur place, elle constate progressivement un phénomène étrange : les oiseaux attaquent les habitants...

Au casting : Tippi Hedren, Rod Taylor et... des oiseaux ! Aux costumes, on retrouve la légendaire Edith Head, sans doute l'une des plus grandes costumières de l'histoire du cinéma. « Les Oiseaux » est adapté d'une nouvelle de Daphne du Maurier. Sorti en 1963, c'est un grand classique du suspense cher au cinéaste Alfred Hitchcock.

Pour décrypter les costumes du film, je suis allé à la rencontre d'une spécialiste du sujet. Caroline Young est une journaliste et autrice écossaise, passionnée de mode et d'Alfred Hitchcock. L'échange est volontiers pointu : on a en effet chacun noté plein de petits détails signifiants sur les costumes des « Oiseaux ».

On aborde aussi d'autres sujets : le style hollywoodien, les vieux films, le Prince Charles et même le fameux groupe écossais Arab Strap, que j'ai déjà pu interviewer dans une autre vie. Mais on s'accorde en priorité sur une chose : si vous vous intéressez de près au vêtement, le cinéma d'Alfred Hitchcock est un passage vivement conseillé pour mieux comprendre les liens étroits qui unissent la mode et le cinéma. Caroline Young vous raconte.

« J’ai toujours été fan des films d’Alfred Hitchcock et ce depuis mon adolescence. Le premier film que j’ai vu, c’était je pense « Fenêtre sur cour » et j’ai adoré. À partir de là, Hitchcock est devenu l’un de mes réalisateurs préférés. Quant à la mode, ce qui m’a surtout captivée ce sont les histoires liées aux costumes dans les films classiques. Je m’y suis beaucoup intéressée en lisant des choses sur des costumiers comme Adrian ou Edith Head et en regardant tous les films des années 30. J’ai écrit un livre qui s’appelle « Classic Hollywood Style » en 2012.

J'ai aussi travaillé au Herald’s à Glasgow où j’écrivais sur la mode. J’ai écrit d'autres livres, sur le motif tartan par exemple. En ce qui concerne Alfred Hitchcock, j’ai mis tous mes intérêts en commun : l’amour du cinéma et l’amour de la mode. J'ai publié un livre sur les héroïnes d’Hitchcock en 2018, qui observe plus particulièrement les femmes et leur style dans les films du cinéaste, comment il en a construit l’image, etc.

En fait, je m’intéresse à la fois à Alfred Hitchcock et à Edith Head. Cela me semblait donc logique de combiner les deux d'autant qu'il n’existait pas de livre exclusivement consacré à ces deux personnages. Leur image est tellement emblématique, bien plus que n’importe qui dans les coulisses d’Hollywood et de son âge d’or.

Edith Head est une créatrice qui a toujours aimé écouter les réalisateurs, les producteurs, les actrices. C’est la raison pour laquelle elle a si bien réussi : elle prenait en compte les opinions des gens, elle était aussi toujours très réceptive. Lorsqu’elle savait ce que voulait un réalisateur, elle essayait de l'aider à traduire sa vision artistique.

Elle concevait également des vêtements avec lesquels les actrices se sentaient à l’aise. Je n’imagine pas vraiment qu’il y ait pu y avoir beaucoup de conflits entre elle et lui. Je pense aussi qu’elle avait un fort pouvoir de persuasion et un point de vue similaire à celui d'Hitchcock concernant les vêtements. Ils ne devaient être ni trop serrés ni trop flashy ou révélateurs.

Edith Head n’a jamais créé de costumes très innovants d’un point de vue créatif. C’était toujours assez classique. Elle ne voulait pas que les films et les costumes puissent être datés, obsolètes. Son travail était en phase avec ce que recherchait Hitchcock. Elle le comprenait et je pense que c’est pour cette raison qu’ils ont travaillé sur 11 films ensemble. »

Ce qu'il faut voir côté style

Lorsqu'on questionne Caroline Young sur les costumes des « Oiseaux », elle en raconte la singularité avec une précision étonnante, comme si elle avait vu ce film des centaines de fois. À l'image de l'ensemble de l'œuvre du cinéaste, rien n'est laissé au hasard dans le vestiaire des « Oiseaux ». Petite revue des principales choses à observer, racontée par Caroline Young elle-même.

1. Le style de Tippi Hedren, la blonde hitchcockienne idéale

« On retrouve dans « Les Oiseaux » tout ce qui fait la particularité du style vestimentaire des femmes chez Hitchcock. Tippi Hedren y incarne complètement l’héroïne hitchcockienne. Au moment où le film a été tourné, Hitchcock avait travaillé avec Edith Head sur un certain nombre de films. Je pense qu’elle était vraiment à l’écoute de ce qu’il recherchait et à la manière dont il souhaitait représenter les femmes de cette histoire à l’écran.

Tippi Hedren était pour lui la blonde idéale. Il souhaitait qu’elle devienne la nouvelle Grace Kelly. Une bonne partie de ce qu’elle porte dans « Les Oiseaux » a d'ailleurs pour référence le style et les tenues de Grace Kelly dans « Fenêtre sur cour » : on retrouve les ensembles, les perles, les cheveux blonds. C'est la même élégance, quand bien même les vêtements de Tippi Hedren sont particulièrement malmenés dans « Les Oiseaux » : son tailleur est déchiré et sali par les attaques des oiseaux.

Au fond, je pense qu'Alfred Hitchcock a toujours aimé cette idée qu’une femme impeccablement habillée au premier plan puisse être ensuite torturée à l’écran. Les vêtements de Tippi Hedren font d’une certaine manière partie du récit : ils montrent l'épreuve qu'elle traverse.

Tippi Hedren n’a que peu de costumes dans le film. Elle porte d'abord un ensemble tailleur noir. Il a quelque chose de Chanel dans le style. Certains ont vu dans cette tenue, sa matière et sa texture, un lien évident avec la couleur et le plumage des corbeaux. On peut d'ailleurs entendre ces oiseaux croasser dans les airs au début du film.

Elle porte ensuite un manteau de fourrure et un ensemble vert pâle. Le manteau de fourrure de Tippi Hedren rappelle le personnage de Tallulah Bankhead dans un autre film d'Hitchcock, « Lifeboat » en 1944. De nos jours, on ne verrait probablement pas une femme faire du bateau avec un manteau de fourrure ou même avec des talons hauts.

Mais il y a 60 ans, les femmes pouvaient en porter. Quand on regarde des photographies de cette époque, les gens étaient bien plus habillés qu'aujourd’hui. Si les manteaux de fourrure sont désormais moins acceptés, ils étaient à l’époque un symbole esthétique, en particulier à Hollywood. Beaucoup d'actrices en portaient.

Quant à la couleur verte de son tailleur, c'était l’une des couleurs préférées d’Hitchcock. Il a toujours aimé voir ses principales actrices en porter. C’était également un gimmick de style chez Edith Head. C’était une sorte de couleur muette, neutre. Elle ne nuit pas à l’action pour laquelle elle a été choisie.

Elle se fond avec la palette de couleurs présentes dans le film, et avec le paysage aussi. Il faut aussi rappeler que Tippi Hedren est censée être connectée aux inséparables. Les oiseaux sont verts, de la même couleur que sa tenue. »

Chez Hitchcock et sans trop savoir pourquoi, j’aime par exemple aussi beaucoup « Frenzy ». C’est un film de 1972 un peu « sale », mais les costumes sont très intéressants car même s’ils ne semblent pas avoir l’esthétique habituelle d’Hitchcock, il y a tout même une blonde hitchcockienne qui se fait assassiner et elle porte là encore du vert dans cette scène. »

Hitchcock et les femmes

« On a pu lire différentes histoires et hypothèses à ce sujet. Alfred Hitchcock est d'une certaine manière un pur produit de l’ère victorienne. Il a grandi dans un environnement où le style, et celui des femmes en particulier, était très codifié. Certains pensent qu’il n’avait pas beaucoup d’expérience avec les femmes, d'autres qu’il était davantage du genre « voyeur »...

De mon côté, je pense qu’il manquait de confiance avec les femmes et qu’il projetait son idéal féminin dans ses films. Il est possible aussi qu’il se sentait comme enfermé en lui-même, dans ce corps imposant. Il ne se sentait peut-être pas à l’aise avec les femmes. Le fait d’être réalisateur lui permettait de « contrôler » les choses bien plus qu’il n’aurait pu le faire dans la vie.

Il a en tout cas créé SA vision de la femme idéale. Mais je pense que des obsessions, on en retrouve dans plein d’autres aspects de son travail. Alfred Hitchcock était obsédé par tout ce qui touchait son cinéma et il savait exactement ce qu’il voulait faire de ses films - les vêtements ne faisaient pas exception. »

2. Les sacs à main

« Dans ses films, Hitchcock a plus ou moins pensé à tout. J’ai pu lire certaines transcriptions et notes de réunion, lorsqu’il échange avec son équipe : il passe en revue tellement de détails, tout est réfléchi. Même un accident chez Hitchcok peut être planifié. Si vous regardez bien, vous verrez que dans « les Oiseaux », Tippi Hedren porte toujours un sac à main, même lorsqu’elle fuit les attaques des oiseaux.

Pour Hitchcock, l'élégance féminine inclut nécessairement un sac à main. C’est une intrigue en soi, on peut y placer des secrets, etc. Les sacs à main ont de fait souvent un rôle dans les films d’Alfred Hitchcock.

Dans « Fenêtre sur cour » par exemple, Grace Kelly commence à suspecter que Thorwald a assassiné sa femme parce qu’elle pense qu’une femme ne partirait jamais sans son sac à main. Un peu comme la Reine Elizabeth, qui ne quittait pour ainsi dire jamais le sien. »

3. Les textures et les matières

« Les matières (laine, tweed, etc.) utilisées dans « Les Oiseaux » font partie de l’esthétique générale. Les tissus sont souvent choisis en fonction des mouvements. Lorsque la costumière Edith Head jette un œil au script, elle regarde les actions et les mouvements prévus pour les acteurs et les actrices.

Or dans « les Oiseaux », Tippi Hedren bouge beaucoup. Il y a de l’action. Je pense donc qu’Edith Head a privilégié des tissus capables de permettre une liberté de mouvement. Le manteau de fourrure en revanche, c’est plus simplement une illustration de la richesse, du luxe. C’est d'ailleurs un peu décalé par rapport à l’environnement dans lequel Tippi Hedren se trouve. Elle porte une tenue très chic, très citadine. Elle ne semble pas vraiment à sa place. »

4. Les autres personnages féminins

« Parmi les autres personnages du film, on peut aussi citer l'ornithologue. Elle possède un look particulièrement stylé, avec un béret, une chemise, une veste en tweed type Norfolk., un sac à main noir. La veste est plutôt rouge d'ailleurs, ce qui est signifiant. Le rouge était souvent utilisé pour signifier le danger.

Lorsque l'ornithologue partage l’écran avec Tippi Hedren, sa tenue agit comme un contre-pied. Annie Hayworth, l’institutrice interprétée par Suzanne Pleshette, est également habillée en opposition au look de Tippi Hedren. Le fait est qu'elle aussi porte une veste rouge : Elle est un danger pour Tippi dans le sens où elle est l’autre femme. Toutes deux sont en effet attirées par le personnage de Rod Taylor. »

5. Le style de Rod Taylor, mi-habillé mi-workwear

« Alfred Hitchcock n’était pas seulement méticuleux vis-à-vis de la mode féminine. Il était aussi pointilleux sur la mode masculine. Il avait toujours une opinion sur la manière dont il souhaitait qu’on habille ses personnages masculins. Il faut cependant savoir que de très nombreux acteurs portaient leurs propres vêtements à l’époque des studios hollywoodiens.

Pour autant, toutes les pièces que l’on peut voir sur Rod Taylor dans « Les Oiseaux » ont probablement été achetées auprès de fournisseurs de costumes, pour coller à l’esthétique qu’Hitchcock recherchait. Dans ses scripts, il y a beaucoup de directives, notamment sur ce que les personnages masculins doivent porter.

Pour le personnage de Rod Taylor, Hitchcock avait par exemple en tête la figure de John Fitzgerald Kennedy. La tenue casual avec le gros pull blanc est basée sur un look de J.F.K. Je pense qu’il voulait rendre son personnage un peu héroïque. »

Ces pièces que le film va vous donner envie de porter

L'analyse de Caroline Young donne au film une nouvelle dimension. Si « Les Oiseaux » d’Alfred Hitchock célèbre une certaine vision de l’élégance féminine, le personnage de Rod Taylor a tout de même quelques belles astuces de style en poche. Comme souvent chez les hommes d’Hitchcock, il porte le costume et la cravate. Mais la première chose que « Les Oiseaux » va peut-être vous donner envie de porter, ce sont des vêtements de couleur vert pâle et ce peu importe votre style.

Si cette couleur peut vite devenir obsédante après visionnage d'un film d'Alfred Hitchcock, on peut trouver d'autres sources d'inspiration. Les tenues les plus intéressantes de Rod Taylor sont ici à chercher du côté du registre casual. Une tenue en particulier retient l’attention, avec blazer en tweed, chemise blanche, pantalon d’inspiration militaire et boots workwear. 60 ans plus tard, on peut trouver des variations autour de ce style mi-habillé mi-workwear chez nombre d’influenceurs, à commencer par Henrik Sunde Wilberg.

1. Le blazer en tweed

De nos jours, on a tendance à associer le blazer à une tenue habillée. Mais lorsqu'il tourne « Les Oiseaux », Rod Taylor envisage cette pièce comme une alternative décontractée au costume plus classique qu'il porte en ville. C'est ici une veste en tweed grise. Or vous avez probablement remarqué que certaines matières à connotation automnale sont de retour sur les e-shops : la moleskine, le velours, le tweed. La veste en tweed est un classique qui se revisite.

De mon côté, j'irai par exemple la chercher chez une marque comme Man1924. D'abord parce que je trouve les looks de son âme créatrice Carlos Castillo très inspirants. Ensuite parce que je possède déjà une Kennedy jacket de la marque espagnole et que je ne serais pas contre une deuxième. Il y a en prime l'inspiration Kennedy dedans, ce qui va bien avec l'idée originale d'Hitchcock pour le look de son personnage.

On peut cependant regarder du côté de Drake's pour d'autres inspirations, toujours justes comme ci-dessus. Ou chez des marques plus traditionnellement associées au tweed comme Thomas Farthing ou Walker Slater. Pour d'autres pistes de vestes automnales, on peut aussi regarder notre petite sélection ci-dessous.

2. Le pantalon cargo

Autre pièce intéressante à découvrir dans le vestiaire de Rod Taylor : un pantalon d'inspiration militaire, avec des poches de type cargo placées un peu plus haut que ce que l'on voit d'habitude. Notez qu'il est de couleur verte. On peut sans doute trouver des modèles similaires au rayon vintage, en friperies militaires par exemple ou possiblement chez Brut Clothing.

Il est bien sûr possible de dénicher des pantalons cargo plus contemporains, et pas nécessairement verts. Il en existe chez de nombreuses marques, dans toutes les coupes et matières. C'est un pantalon polyvalent, facile à porter et ce dans différents registres : workwear, sportswear, rock, voire pourquoi pas un peu tout ça à la fois.

3. Les boots workwear

Une dernière merveille à retenir du vestiaire de Rod Taylor dans « Les Oiseaux » : une paire de chaussures en cuir marron d'inspiration workwear. C'est la paire de chaussures parfaite pour ce type d'aventure. La marque américaine Red Wing s'est bien sûr spécialisée dans ce type de chaussures tout terrain. Mais on peut en trouver chez de nombreuses autres marques, d'Alden à Jacques & Déméter. Au passage, vous noterez sur la photographie ci-dessous la simplicité de la tenue. Marron, vert, blanc - le blanc étant présent à travers les chaussettes et la chemise blanche, qu'on pourrait d'ailleurs tout à fait choisir en Oxford.

On peut néanmoins préférer des modèles moins rustiques. Question de style et d'affinités. C'est une problématique qui revient régulièrement : que choisir entre boots workwear et habillées, et comment les porter ? La réponse se trouve peut-être pour vous dans l'article ci-dessous.

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