Point de Paris ou la naissance d’une marque de souliers

18 min

Point de Paris ou la naissance d’une marque de souliers

18 min
Publié le : 7 janvier 2020Mis à jour le : 8 janvier 2020

Si vous lisez BonneGueule depuis plusieurs années, vous adorez sûrement lire des histoires de passionnés, qui décident de franchir de pas et de créer leur propre marque.  On a déjà raconté les histoires de Office Artist, Patrons ou encore La Perruque ?Si ce n’est pas encore le cas, n’attendez plus pour les découvrir.

Place maintenant à la marque Point de Paris, fondée par la joyeuse bande que j'avais rencontré lors de mon périple à Northampton.

Pour la naissance de leur marque, je leur ai demandé d'écrire le contenu qu'ils auraient aimé lire en tant que lecteurs passionnés de souliers.

Voici donc leur histoire, où se mêlent amitiés, serre d'aigle, et prototypage mouvementé !

Benoît.

C’est avec une joie toute particulière que nous, l’équipe de Point de Paris, vous présentons aujourd'hui notre projet racontons notre aventure… Car lorsque quatre passionnés de chaussures décident de lancer leur propre marque, les péripéties et anecdotes sont nombreuses.

Avant d’aller plus loin, laissez-moi faire les présentations :

De gauche à droite : Jonathan, Raphaël, Guillaume et votre serviteur Charlie.

  • Jonathan, président et expert produit.
    C’est certainement le plus snob et ayatollesque du groupe. Selon lui, nous devrions tous nous chausser de richelieu marron à bout carré. On essaye de lui faire porter d’autres paires mais c’est compliqué…
    Passionné de longue date, il a poussé le vice jusqu'à prendre une année sabbatique pour se former chez un bottier et fabriquer ses propres paires. Cela lui a donné une connaissance encyclopédique du produit sur laquelle nous appuyons notre projet.
  • Raphaël, en charge du pôle administratif.
    L'expression "le diable est dans les détails" est ce qui le qualifie le mieux. Il est en effet connu pour demander ?Et généralement obtenir.  l'impossible de la part des artisans.
    Raphaël s’occupe du contrôle qualité et je peux vous garantir qu’il est intraitable. Avocat de formation, il sera de très bon conseil pour tous ceux qui veulent développer un look formel et distingué.
  • Guillaume, le responsable web.
    Le plus gentleman farmer, sans aucun doute. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui porte aussi bien le complet de tweed, même en été ! Guillaume sait rester élégant en toutes circonstances, même au guidon de sa Triumph.
    Epicurien un tantinet désuet, il est notre touche provinciale. Ingénieur généraliste de formation, il s'occupe à la fois de notre site internet, de la gestion du planning et de nos solutions de logistique.
  • Charlie, en charge des ventes et du marketing (rédacteur de cet article).
    Mes associés me considèrent comme un bobo car je m’arrête toujours au bar siroter un Monaco en rentrant du marché et que je joue au Molkky au moindre rayon de soleil… Tout comme vous, j’aime savoir ce que j’achète et peux passer des heures à écumer les forums pour trouver la perle rare. Je considère les chaussures comme la pièce maîtresse d’une tenue, celle qui donne le plus de style.

La naissance d'un groupe de passionnés

Internet conserve tout et à l’occasion de cet article j’ai retrouvé trace de nos premiers échanges sur le célèbre forum En Grande Pompe dès 2013. Nous ne nous connaissions pas encore mais partagions la volonté de comprendre les caractéristiques d’un beau vêtement, d’une belle paire de chaussures, pour acheter mieux ?Et plus diront certains.... Cette soif d’apprendre nous a alors rapprochés et nous anime encore aujourd’hui.

À la suite d’une discussion passionnée sur les méthodes de fabrication de la marque Vass, j’ai proposé d’organiser un voyage à Budapest en juin 2015, ouvert à tous. Les objectifs étaient de visiter leur atelier et de rencontrer David Balazic, bottier français qui s’est installé en Hongrie à la suite de son compagnonnage.

Nous et Franck en compagnie de Rezső Kuti (tout à droite) lors de la visite de l’atelier Vass. Ne faites pas attention à Raphaël, il n'avait pas compris le dress code !

Nous connaissant à peine, nous nous retrouvons tous les quatre - accompagnés d’un inconnu qui deviendra un grand ami - à Budapest afin de découvrir les procédés de fabrication austro-hongrois et d’ajouter quelques (nombreuses) pépites à nos garde-robes.
On ne le savait pas encore mais ce séjour était le premier d’une série ?Italie, Angleterre et Espagne.  avec l’envie de rencontrer les meilleurs faiseurs, visiter leurs usines et agrandir nos collections de souliers.

La création du projet

De retour à Paris, nous continuons à nous voir très fréquemment pour partager notre passion. Les chaussures restent notre sujet préféré et nous sommes plus que jamais en quête de la paire idéale : celle au cahier des charges sans compromis et au prix accessible. Doux rêve !

A cette époque, Jonathan met à profit un semestre sabbatique pour apprendre les bases de la botterie chez un ancien chef d’atelier de Berluti. Au fil des mois, travail de forme, patronage et montage n’ont plus de secret pour lui.

Grâce à ses nouveaux contacts dans ce milieu et séduits par ses excitants récits, nous franchissons le pas et faisons réaliser notre première paire de souliers sur-mesure. Une expérience unique, de la prise de mesures à la réception finale. La sensation de maintien et le niveau des finitions sont incroyables.

souliers cuir marron

Première paire avec montage et semelage entièrement réalisés à la main par Jonathan. Le résultat est bluffant.

L’univers de la chaussure classique se compose d’artisans bottiers et de marques de prêt-à-chausser. L’industrialisation impose de nombreux compromis au niveau des techniques de fabrication, indépendamment de la gamme de prix.

Par exemple, quasiment aucune marque ne propose de contreforts longs et très peu utilisent de contreforts en cuir. Ces éléments améliorent pourtant considérablement la longévité et le confort des souliers. Bien que l’offre en prêt-à-chausser soit large, la finition, les matériaux ou encore la durabilité sont généralement loin des standards de la botterie.

De l’excitation liée à nos paires sur mesure au projet de créer notre propre marque, il n’y a qu’un pas. Ou plutôt un verre ! Lors d’une soirée bien arrosée en octobre 2015, je demande à Jonathan ce qu’il attend pour se lancer : il a l’envie, les compétences et les contacts. Son snobisme n’a pas que des défauts, cela fait de lui quelqu’un d'intransigeant sur la qualité et le style.

Verre après verre, nous finissons par lever le tabou sur notre volonté de créer la marque de chaussure dont nous rêvons. Si ce projet était dans nos têtes, nous ne l’évoquions jamais de peur de plonger… C’était une certitude, pour nous comme pour Guillaume et Raphaël. On a toujours besoin d’un informaticien et d’un juriste - avocat, mes excuses Maître ! - dans une équipe, a fortiori lorsqu’ils sont eux aussi passionnés de beaux souliers.

Les premiers mois de l'entreprise

Après avoir retrouvé nos esprits et confirmé qu’on voulait tous se lancer dans l’aventure, le temps de se mettre au travail est rapidement venu. Croyez moi, créer une marque nécessite un sacré investissement, temporel comme financier. Particulièrement lorsqu’on crée des souliers tant la multiplicité de tailles engendre des frais très importants.

Nous avons fait le choix de garder nos emplois respectifs car nous souhaitions avant tout prendre du plaisir et éviter que des contraintes financières n’imposent des compromis sur le produit final. Les réunions occupaient donc nos soirs et week-ends. Je m’en souviens avec nostalgie.... Elles duraient jusqu’au bout de la nuit tant il y avait de choses à penser.

On a tout imaginé : gammes différentes, semelage main, points d’arrêts personnalisables, de la vente uniquement en précommande et même ouvrir une boutique physique. Notre équipe a un gros avantage : nous avons des compétences complémentaires et notre amitié permet de passer les moments difficiles et les désaccords. En contrepartie, étant tous de grands malades de chaussures, chaque décision nous tient à coeur et il y a beaucoup de détails à débattre.

Cette extravagance initiale nous a permis de définir la ligne directrice dont nous ne nous écarterons plus : des formes charismatiques, une construction au plus proche de la tradition bottière pour un style très français. Nous avons rapidement construit notre gamme autour de deux formes et sept modèles dans le but de proposer le semainier idéal, constitué de patronages intemporels et élégants en toutes circonstances.

Dans l’industrie, il est fréquent de réutiliser des formes déjà développées par les fabricants. Ce n’était pas notre souhait, nous voulions notre forme : un bout carré plongeant dit “serre d’aigle” ! Nous tenions à en définir précisément le style ?Bout, arêtes prononcées. et le confort ?Largeur, périmètre de la petite et grande entrée.. Jonathan avait déjà sélectionné les fournisseurs et nous avons rapidement pu initier le premier prototype de notre forme.

En parallèle, nous devions définir tout ce qui compose l’identité de la marque : nom, devise, logo, typographie, etc. Ce sujet était dans mes attributions alors j’ai sorti le grand jeu : présentation du nom avec word banking associé, leviers d’engagement, création de logo et code couleur. Je revois encore la détresse dans les yeux de mes associés lorsque je leur ai demandé de présenter au minimum trois idées chacun selon ce template.

On a vécu des grands moments de “tempête de cerveaux” à rendre jaloux les meilleurs agences publicitaires. Je remercie mes amis d’avoir joué le jeu, bien que jaloux que ce soit une proposition de Raphaël qui ait été retenue…

Plusieurs noms ont été envisagés et un a rapidement fait l’unanimité : Point de Paris.
Les quatre points blancs du logo font référence aux quatre personnes impliquées dans ce projet.

Le Point de Paris est l’unité de mesure historiquement utilisée par les bottiers français. Il permet un ajustement au plus près du pied pour un confort maximal. Ce choix correspond également à notre ambition : proposer des chaussures qualitatives et de caractère aux amateurs éclairés comme aux calcéophiles les plus exigeants. Notre expérience de la mesure nous a rendus pointilleux et il est essentiel que nos souliers soient manufacturés avec le même niveau de détails et matériaux nobles qu’en botterie.

Trop fier d’avoir un nom, une devise et un code couleur, j’ai pris la meilleure décision de ma vie : commander 1.000 pochons toutes options. Coton gratté, double épaisseur, lacets cirés bleu marine, sérigraphie premium… On ne se refait pas. Nous n’avions pas idée alors que nous ne validerons notre premier prototype que trois ans plus tard. Cette histoire est un running gag chez Point de Paris, et cela fait trois ans que Raphaël a une palette entière de pochons dans sa cave.

pochons

Les fameux pochons Point de Paris.

La création de la forme

Nous avions déterminé notre ambition en tant qu’entreprise, défini notre cahier des charges, créé notre marque et identité visuelle. Le moment était venu de rencontrer celui qui développerait nos chaussures. Jonathan le connaissait et était très satisfait de la qualité des produits et de son savoir-faire. J’ai tenu à l’accompagner, armé d’un accord de confidentialité préparé par Raphaël et d’une présentation chiadée de notre business plan. Nous n’étions pas encore clients et tenions à garder le projet secret...

Premier constat à l’arrivée, je suis totalement “overdressed”. Face à quelqu’un qui est en bleu de travail ?Normal dans un atelier !, ma cravate est de trop. Deuxième constat, on aurait dû le prévenir en amont qu’on voulait lui faire signer un accord de confidentialité. Après 20 minutes de débat sur l’utilité du document, on s’est résolu à le ranger au fond de notre serviette.
Quant à la présentation, nous n’avons même pas dépassé la quatrième diapositive. Notre interlocuteur en avait vu passer des projets et cherchait à savoir ce qui nous animait vraiment.

Malgré cette entrée en matière plus compliquée qu’attendu, nous partageons la même vision du beau produit et validons notre cahier des charges. C’était l’objectif de cette rencontre.

1. Premier prototype : un début prometteur

Quelques semaines plus tard, en mars 2016, nous réceptionnons notre premier prototype. L’excitation est maximum, le projet se matérialise enfin. Il est d’usage d’utiliser des peausseries de basse qualité à ce stade, rendant la projection difficile pour les néophytes que nous sommes. Le but est uniquement de s'assurer que la forme correspond à nos attentes d’un point de vue stylistique et à celles de la manufacture sur le plan technique. C’est un travail à trois entre le formier, le responsable d’atelier et nous.

soulier cuir bleu

Premier moment de vérité lors de la réception du prototype. Il reste clairement du boulot, mais c’est un début.

En l’état, nous ne sommes pas satisfaits et demandons plusieurs modifications pour le prototype suivant :

  • Bout : accentuation du carré et du plongeant ainsi que des arêtes davantage marquées afin de gagner en caractère.
  • Chaussant : augmentation du coup de pied, diminution de la hauteur de la tige et creusement de la cambrure pour se rapprocher de l’esprit bottier tout en améliorant le maintien du pied.

2. Deuxième prototype : c’est mieux, mais pas parfait

La réception du deuxième prototype nous apporte beaucoup de satisfaction.

La forme a de l’allure et le rendu est conforme à ce que nous souhaitons. Pour autant, après avoir teint la chaussure, il nous a semblé que les arêtes pouvaient être encore plus marquées. Nous sommes alors confrontés à un dilemme que nous rencontrerons souvent par la suite : se contenter d’un résultat satisfaisant et avancer, ou bien chercher encore mieux quitte à prendre du retard sur le planning.

souliers cuir blanc bleu

A gauche notre second prototype, à droite le premier. La chaussure a gagné en finesse et en caractère, on est dans la bonne direction.

Nous savions qu’un nouvel essai décalerait le projet de plusieurs mois supplémentaires, ce qui a généré beaucoup de discussions entre nous. L’atelier français avec lequel nous travaillons évolue dans un environnement économique tendu et subit la concurrence de groupes principalement étrangers aux produits plus industrialisés. Notre projet l’intéresse car c’est l'opportunité pour lui de développer un savoir-faire pointu, mais les commandes plus conséquentes de ses autres clients sont logiquement prioritaires. Le développement de prototypes ne peut donc se faire qu’à certaines périodes plus calmes de l’année.

Finalement, la décision a été simple à prendre. C’est notre passion pour les chaussures qui est à l’origine du projet, il n’était dès lors plus question de concéder le moindre compromis.

3. Troisième prototype : au-delà de nos espérances

Pour avoir les lignes charismatiques dont nous rêvions, il fallait accentuer le tombant latéral de la forme. C’était risqué car nous augmentions aussi la difficulté du montage de la semelle Goodyear.
En accord avec le formier et le fabricant, décision est prise de lancer simultanément deux prototypes de forme avec des améliorations différentes. Nous décidons également de changer le cuir à doublure pour un plus souple, permettant de gagner en confort et en finesse.

souliers cuir marron noir

De droite à gauche, nos prototypes 1, 2 et les deux versions du 3e. Que de changements !

Ces deux prototypes ont été un soulagement pour l’équipe et ont permis de valider les décisions prises. Nous voulions une forme audacieuse, aux lignes tendues et aux arêtes marquées. C’est le cas ! Nous décidons de l’appeler Audace. Il est dommage de ne pas encore avoir un cuir qui la mette totalement en valeur mais l’esprit bottier est parfaitement respecté.

Après étude minutieuse des deux paires, nous avons choisi la seconde version (toute à gauche ci-dessus). Elle permet d’avoir un débordant plus fin et un style racé qui correspond à nos attentes. Jonathan entérina ensuite notre choix en portant cette paire plusieurs semaines. Les prototype se réalisent généralement en 42 ce qui par chance est sa pointure.

Alors que nous avions planifié la livraison de nos premières paires pour les fêtes de fin d’année 2016, nous ne faisons que valider la forme. Nous oublions rapidement ce retard tant nous sommes heureux et fiers du résultat. On imagine très bien nos différents patronages sur cette forme. Le moral est donc au beau fixe et on se projette avec envie sur les prochaines étapes.

La conception du richelieu

Forts du dernier prototype, nous passons commande de notre parc de formes à monter auprès du formier. Nous décidons de proposer des paires du 40 au 45,5 soit un total de 12 formes avec les demi-pointures.

Quelques jours avant le traitement de notre commande, nous apprenons que l’entreprise a été déclarée en redressement judiciaire ! Heureusement, nous n’avions pas encore versé d'acompte, mais cela a été un coup dur. Nous pensions le projet lancé mais nous voilà finalement à la recherche d’un nouveau fournisseur de formes… C’est d’autant plus frustrant que notre atelier avait ses habitudes avec ce formier et qu’il en existait peu d’autres répondant à nos exigences de qualité.

Nos recherches nous ont menées à deux entreprises, l'une en Angleterre, l'autre en Italie. Notre choix s’est très vite porté sur l’entreprise anglaise dont la réputation était rassurante et avec qui la communication était plus simple. Les nombreux échanges et études sur notre forme ont alors été coûteux et chronophages malgré la réactivité du fournisseur.

formes de souliers jaunes

L’arrivée de nos formes, un moment de fête !

Ce contre-temps ?Six mois tout de même. lié au changement de fournisseur nous laisse le temps de peaufiner nos patronages. Notre objectif pour le lancement était de proposer une forme et deux modèles. La seconde forme ainsi que les cinq autres patronages sont décidés et seront dévoilés ultérieurement.

1. Premier prototype : un peu court

Notre premier modèle est un richelieu à bout droit, un grand classique de la garde-robe masculine. Il n’est pas simple de revisiter un patronage aussi normé que celui-ci. Nous avons donc cherché à le rendre “parfait” grâce à des proportions intemporelles et de nombreux détails évoquant la botterie.

Les discussions ont été nombreuses et passionnées. C’est fou comme on peut débattre longtemps du bon emplacement d’un bout droit ! Nous commandons un prototype à l’atelier afin de s’assurer de nos choix.

souliers cuir marron

Notre premier prototype de patronage. Plusieurs modifications sont à prévoir.

Ce premier essai est prometteur ! Des modifications sont pourtant rapidement demandées :

  • Le bout droit est un peu trop court, c’est-à-dire trop près des orteils
  • La couture du bout droit entre l’arête et la trépointe n’est pas assez verticale
  • Les deux lignes d’oeillets sont parallèles alors que nous souhaitons un arc.

2. Deuxième prototype : le bout est parfaitement placé

soulier cuir blanc

Ce deuxième prototype du Richelieu est très satisfaisant. Tout n’est pas encore parfait, mais on touche au but.

Nous avons la banane en découvrant cette paire car les modifications demandées au niveau du bout droit sont très satisfaisantes. Les proportions sont justes, l’ensemble est équilibré. Il manque encore quelques menus détails - les oeillets en arc par exemple - qui ne nécessitent pas de prototypage supplémentaire. Nous validons donc notre première paire, sobrement nommée Le Richelieu.

soulier cuir blanc marron

Le bout droit est plus harmonieux sur cette nouvelle version.

Nous étions donc parés à passer une première commande pour nous et nos proches afin de tester plus longuement nos chaussures et réaliser quelques photos. Le lancement se rapprochait !

Enfin, c’est ce que nous pensions.

A la réception de nos paires, c’est la douche froide. Certaines formes de notre fournisseur anglais présentent un léger défaut qui induit du jeu dans la charnière. Ce bâillement rend le montage très difficile et ne permet pas à l’atelier de travailler avec précision.

soulier cuir blanc

J’ai mal à mon cuir… Retour à la case départ et commande de nouvelles formes.

Trois problèmes sont identifiés :

  1. Des plis sur la tige au niveau du bout droit
  2. Une couture pas homogène le long de la trépointe
  3. Des marques et déchirures provoquées par l’outillage sur le cuir

Les formes sont renvoyées en Angleterre pour être corrigées. Le fournisseur a été réactif et la relation est restée bonne malgré ce nouveau contre-temps. Nous en profitons également pour commander un second parc de forme. L’investissement est conséquent mais nous permettra de palier tout imprévu dans le futur.

Quant aux marques sur le cuir, elles étaient dues à la pièce dans laquelle la chaussure vient se loger lors de la couture Goodyear. Il faut en effet appliquer une forte pression afin que le soulier ne bouge pas lors de cette opération délicate.

Après trois autres essais avec des réglages différents, le résultat n’est toujours pas à la hauteur de notre exigence. Nous décidons donc de développer notre propre pièce et faisons régler une machine de l’atelier spécifiquement pour nous.

soulier cuir blanc

On ne pouvait accepter la moindre marque d’outillage sur la peausserie, quitte à développer une pièce supplémentaire.

Toutes ces opérations ont duré presque un an, d’avril 2017 à mars 2018, et ont demandé beaucoup d’énergie et de moyens financiers. On se projetait déjà au lancement et pourtant il fallait retravailler formes et outillage. Heureusement que nous sommes très amis et soudés car ces moments difficiles demandent une grande motivation pour continuer. Nous sommes pugnaces chez Point de Paris.

La conception de l'escarpin

Notre première série a dû être recommencée par l’atelier avec les formes modifiées. Nous avons profité de ce délai pour peaufiner des détails de patronage et de montage. A l’occasion de ces essais, nous entamons le prototypage de notre second modèle, un richelieu “une pièce” très épuré, dans le plus pur style français.

1. Premier prototype : un coup d'épée dans l’eau

Nous ne voulions pas faire un One Cut traditionnel. La tâche était compliquée tant les possibilités de modification sont faibles avec un modèle qui n’a qu’une couture. Nous avons donc essayé de la déplacer en la positionnant à un endroit moins visible, de l’arrière vers l'intérieur du pied. L’objectif était de proposer une vue totalement lisse du talon.

Revisiter des modèles iconiques est toujours un exercice délicat.

La tentative n’était pas déplaisante, mais nous n’étions pas totalement convaincus. En outre, l’atelier éprouvait des difficultés pour monter les deux chaussures de façon symétrique. Nous avons abandonné cette idée pour concentrer nos efforts sur d’autres parties de la chaussure.

2. Deuxième prototype : les portes du paradis

La beauté d’un richelieu réside dans la pureté de ses lignes. Afin de le magnifier, nous avons souhaité le proposer avec trois oeillets. Le cou de pied s’en retrouve affiné et les lignes tendues. Nous l’appelons L’Escarpin, en clin d’oeil au classique féminin si épuré, bien que ce patronage n’en soit pas techniquement un.

Beaucoup d'annotations, mais des changements mineurs à prévoir.

Nous avons retrouvé le responsable de l’atelier en octobre 2018 chez Jonathan pour découvrir ensemble cette deuxième tentative. Quelques modifications ont été demandées :

  • Remonter l’emplacement du premier oeillet de trois millimètres afin d’avoir un laçage plus consistant et visuellement allonger le pied
  • Pincer davantage la semelle pour amincir le profil de la chaussure et renforcer le maintien
  • Fraiser la semelle de façon à obtenir un bout plus “carré”.

Le contrefort en cuir Point de Paris est très long et englobe la moitié du pied. Il offre une sensation de maintien incroyable et une durabilité sans pareil.

Toutes nos paires sont manufacturées avec des cuirs de veau pleine fleur de premier grade en provenance des Tanneries du Puy. Nous sommes très satisfaits de ces peausseries mais l’approvisionnement est irrégulier car la maroquinerie de luxe est très consommatrice.

Pour palier toute rupture, nous avons réalisé un essai avec un cuir de la Tannerie Degermann. La peausserie avait une belle main mais nous avons constaté un léger grain qui n’offre pas un rendu totalement lisse. Nous avons décidé de conserver le cuir du Puy afin de toujours proposer la meilleure peausserie.

semelle liège soulier cuir

Cambrion en bois, plaque de liège, première sous gravure et contrefort cuir… What else ?

Dans le même temps, nous réfléchissons aux teintes à proposer. Nous avons demandé à l’atelier de produire des souliers avec une peausserie à patiner, pour deux raisons :

  1. Chaque teinte réalisée à la main est unique et permet de souligner la ligne par de subtiles nuances.
  2. La préparation des paires à la demande limite les stocks et garantit un approvisionnement constant de peausseries d’exception.

Après plusieurs essais et une formation avec Romain Carré des Cireurs Parisiens (professionnels de la teinture), nous décidons de proposer nos modèles en noir, en bleu marine et dans trois variations de marron.

Chaque paire Point de Paris sera teintée et bichonnée avant sa livraison. Elle recevra également une série de finitions à la main, dont le brodage d’un point d’arrêt, une gourmandise bottière qui nous est chère.

soulier cuir marron

Si nous voulions initialement ne proposer que deux marrons, nous avons dû nous rendre à l’évidence… Aucune de ces teintes n’est de trop !

Nous souhaitons également que nos paires restent belles le plus longtemps possible.

Pour cela, il est fondamental d’utiliser des embauchoirs de qualité, adapté au chaussant. L’humidité est ainsi idéalement absorbée et le soulier reprend sa forme entre deux ports. Nous avons donc décidé d’inclure dans le prix des embauchoirs réalisés sur notre forme. Ce point est non négociable !

Nous avons essayé de nombreux modèles durant notre aventure, provenant de nombreux faiseurs en Europe. Finalement, c’est un embauchoir à la forme très travaillée, dans un beau bois verni bleu que nous choisissons. Ce choix a été simple puisque nous sommes tous tombés amoureux une première fois en le voyant, une seconde en l’utilisant.

embauchoir bleu

Ce modèle d’embauchoirs qui nous a particulièrement plu, car il remplit bien son rôle (et donc la chaussure…)

Notre volonté de produire des paires dont les caractéristiques se rapprochent le plus possible de celles de la botterie demande du temps et des investissements conséquents.

Toute la force du projet réside dans le cahier des charges sans compromis que nous avons mis en place. Il nous faut donc tester des solutions nouvelles et produire des pièces spécifiques pour arriver à notre but. Nous voulons produire une paire exclusive, sans compromis et nous ferons tout pour y arriver.

Toutes ces péripéties génèrent forcément des interrogations des amis et de la famille. Ces trois dernières années, on ne compte plus le nombre de fois où on nous a demandé : “vous en êtes où ?”

A leur décharge, après l’annonce d’un lancement fin 2016, des péripéties techniques en série et la validation des deux prototypes fin 2018 seulement, on peut comprendre la curiosité et l’impatience.

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Beaucoup de temps et d’efforts mais le résultat est à la hauteur. Cette beauté est l’un des derniers prototypes de L’Escarpin !

Afin que ce projet reste un plaisir et qu’on garde des relations amicales, nous organisons régulièrement des week-end “travail et détente”. Ces moments ont été fondamentaux dans la prise de décisions importantes et dans la construction d’un véritable esprit d’équipe.

Dans les périodes de tension, j’ai juste besoin de revoir Jonathan s’essayer au lancer de hache pour retrouver le sourire et la motivation.

Prêts pour le grand saut

La réception du dernier prototype s’est déroulée en début d’année 2019, dans un café d’une gare parisienne. En effet, le responsable de l’atelier a tenu à faire le déplacement pour nous présenter en personne sa dernière production.

C’est un moment charnière dans le projet car pour la première fois nous tenions une paire correspondant à la forme et au cahier des charges que nous avions défini trois ans plus tôt. Quel soulagement et quelle victoire ! On pouvait enfin lancer la production de notre set d’essayage et surtout des paires nécessaires au shooting photo.

Nous avons essayé de réaliser nous-mêmes les photos qui se trouvent sur le site internet, ce qui s’est avéré plus complexe que ce qu’on imaginait. Après plusieurs tentatives, nous n’étions pas contents du résultat. Au-delà du matériel, c’est avant tout la manière de régler l'appareil et les lumières qui est cruciale.

Heureusement, un de nos amis - Florent pour ne pas le citer - est un photographe hors pair et un amateur éclairé de souliers. Il a très gentiment accepté de nous aider en échange de quelques Gin-To et grâce à lui, nous avons des photos de grande qualité. Nos essais n’ont pas été vains puisqu’ils nous ont permis de définir le décor et la position des chaussures.

Nos premières tentatives de prises de vues étaient pour le moins artisanales.

Les photos “pack shot” ont été prises dans un studio professionnel, loué pour l’occasion. Il nous aura fallu une semaine de préparation, notamment pour réceptionner et bichonner les paires, avoir tous les éléments à disposition…

C’est souvent dans ces moments-là que vous vous apercevez qu’il manque un lacet à une paire.

Étonnement, en se donnant les moyens c’est bien mieux 🙂

Quant aux photos de groupe, elles ont elles été prises dans différents lieux parisiens, toujours sous le regard étonné des badauds. La photo qui se trouve actuellement sur le site nous aura demandé beaucoup de patience car il n’est pas aisé de se retrouver seul sur les marches d’un escalier de Montmartre un samedi de juillet !

La dernière ligne droite du projet était interne, avec la finalisation de la troisième version de notre site internet, la première datant de 2016. Avec l’évolution du projet, nous avons revu nos ambitions, évolué et les tendances et technologies du web avec nous.

A ce stade, nous hésitons toujours entre un lancement traditionnel ou à travers une plateforme de crowdfunding. Cette dernière option est séduisante car outre la forte visibilité web, elle permet de produire des paires qui sont déjà vendues, ce qui est financièrement très intéressant (pas de stock à gérer).

Nous l’écartons rapidement car cela engendre des coûts très importants (vidéo professionnel, frais sur vente, etc.) et nécessite de proposer une offre à prix réduit. Or, notre modèle économique ne nous permet aucun rabais. Nous avons la volonté de proposer nos modèles au prix le plus juste, toute l’année. Nous préférons concentrer nos efforts sur la production des meilleurs chaussures possibles que sur la réalisation de vidéo promotionnelle.

soulier cuir brun marron richelieu

Notre modèle le Richelieu, en brun.

Chaque paire est livrée avec ses embauchoirs à la forme, accompagnée de deux paires de lacets (ronds et plats), de la crème et la pâte de cirage à la bonne teinte ainsi que des pochons de protection. Le tout dans un écrin en bois pour leur assurer la meilleure des durées de vie.

Le mot de la fin

Ce projet, après quatre années de durs labeurs, arrive à maturité. Nous avons voulu le garder secret le plus longtemps possible afin de surprendre jusqu’à nos amis les plus proches. Nous voulions créer l’effet “waouh” parmi les calcéophiles qui nous connaissaient à travers les forums et autres rencontres sartoriales.

Rétrospectivement, nous aurions dû communiquer plus tôt, afin d’obtenir plus de retours sur notre travail et obtenir des astuces de professionnels du secteur. L’important est qu’aujourd’hui nous sommes toujours amis et surtout très fiers de ce que nous avons produit.

Pour en savoir plus, rendez-vous le 25 janvier lors de notre grand lancement au Gentlemen 1919 ! Tu pourras nous rencontrer, essayer nos modèles et acheter une paire de chaussures qui t’accompagnera pour les vingt prochaines années.

En attendant pour nous suivre, notre site internet et notre compte Instagram.

Nous tenons à remercier chaleureusement Joseph et son équipe pour la production de nos paires d’exception, Florent pour les superbes photos ainsi que Benoît pour tous ses bons conseils. C’est un honneur d’avoir pu présenter notre entreprise sur BonneGueule et on espère que vous aurez pris du plaisir à lire ces (quelques !) lignes.

A très vite.

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