Découverte de Cottle, le roller coaster des matières japonaises

7 min

Découverte de Cottle, le roller coaster des matières japonaises

7 min
Publié le : 6 février 2024Mis à jour le : 6 février 2024
bonne gueule

Souvent, découvrir des savoir-faire japonais nous ébahit comme des enfants dans un parc d’attractions. Et Cottle est le Grand Huit. La profondeur du travail d’expérimentation donne le vertige. La créativité des textures garantit des sensations fortes et pourtant, les chariots de la marque avancent très lentement. Ce qui rend son histoire d’autant plus intéressante.

Note : cet article n’est pas sponsorisé et nous n’avons pas reçu de rémunération en retour. Comme notre marque qui le finance, notre média a pour vocation de vous faire découvrir des savoir-faire bien trop peu mis en avant. Nous espérons que celui-ci vous plaira autant qu’à nous.

Un couple qui voulait faire autrement

Lundi 22 janvier 2024, 11h. À quelques arrondissements parisiens des projecteurs de la Fashion Week, je marche dans une ruelle silencieuse et arrive devant une petite boutique. Pas de grand logo sur la façade, ni d’enseigne qui dépasse, juste une petite carte sur la porte qui m’indique que je suis au bon endroit.

Bonne gueule

Je la pousse et deux hommes m’accueillent avec le sourire.

Tous deux sont japonais. Le premier porte une veste workwear en velours bleu marine et un jogpant gris clair en laine. Il se présente en anglais : Tomo, agent qui accompagne la marque dans son développement, depuis ses bureaux à Tokyo. Il y travaille depuis 4 ans, pour Cottle comme pour d’autres marques de mode.

Le second porte une superposition de vestes workwear, une verte et une bleue, ainsi qu’un pantalon en velours. Tomo fait les présentations : Toshi, pour Toshiaki Watanabe. Fondateur de la marque et créateur de toute sa collection. Comme il parle moins anglais, Tomo assure parfois la traduction. Notamment lorsqu’il me raconte le parcours qui l’a mené à la création de sa marque. Et à la tenue de ce showroom aujourd'hui.

Bonne gueule

Toshi passe son enfance dans la ville de Kurashiki, dans la préfecture d’Okayama, berceau de l’industrie textile japonaise. C’est dans cette région que les tisserands japonais ont commencé à fabriquer leur propre denim dans les années 60, suite au succès des jeans américains importés après la seconde guerre mondiale.

La culture textile est donc très présente dans les quartiers. Des ateliers et des musées d’art notamment, qui parlent beaucoup à Toshi. Il y développe son goût pour l’artisanat et, en parallèle, trouve dans ses vêtements un moyen de s’exprimer. C’est vite compris pour lui : il veut en faire son métier, et permettre à d’autres de découvrir le plaisir et le développement personnel qu’il a trouvé dans ses vêtements.

Il se cultive et se forme auprès de petits ateliers. À 18 ans, il part faire une grande école de couture et de design à Tokyo : le Bunka Fashion College. Il y rencontre sa femme, Yukari Watanabe et c’est avec elle qu’il créera sa propre marque plus tard, en 2015.

Car en travaillant dans la fabrication textile après sa formation, Toshi approfondit ses connaissances et développe ses relations dans le milieu. Il sait s’approvisionner et peut se lancer. Après avoir vu la frénésie de l’industrie textile mondiale, il tient à proposer une approche différente. Pas de stock produit en trop, chaque pièce est faite individuellement sur demande. Pas de nouvelle collection à chaque saison, Toshi veut une seule offre permanente qu’il prendra le temps de développer au fil des années. Et peu importe le temps que ce développement prendra, il veut que chaque vêtement vaille le coup, qu’il fasse vivre une expérience et un savoir-faire particulier.

Le nom sera Cottle, alliance des termes anglais Cotton et Kettle signifiant “bouilloire”. L’idée est de considérer le denim (son premier grand travail de développement) comme un bien domestique essentiel et constamment présent dans notre quotidien.

Pour lancer l’aventure, Toshi et Yukari s’installent à Kojima, une ville d’Okayama. Le tissage et la teinture du denim constituent un art important pour la ville. Le couple y reprend un atelier vieux de 120 ans qui était destiné à la destruction. Ils remettent en marche une partie des métiers à tisser. Ils font tout sur place avec trois couturiers et c’est là tout l’effectif de l’équipe.

Bonne gueule
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Toshiaki dans son atelier.

Créer et fabriquer au même endroit permet à Toshi de matérialiser directement ses idées de matières pour les tester, savoir si elles fonctionnent ou pas, s’il peut poursuivre dans telle ou telle direction.

Toshiaki, fondateur de Cottle

Pour chaque matière, je pars de zéro. C’est beaucoup d’essais, d’erreurs et de recommencements. Cela peut nous prendre un an et demi, deux voire trois ans suivant l’étoffe développée.”

À titre de comparaison, la plupart des marques mettent entre six mois et une année à développer un vêtement.

À aucun moment de la discussion, Toshi et Tomo ne prononcent les mots “slow fashion” ou “luxe”. Pourtant, je n’ai jamais vu de marque à l’approche aussi “slow” de la mode, avec une équipe aussi petite. Évidemment, on consomme forcément des ressources en fabriquant un vêtement mais ici, l’approche est bien plus vertueuse. Et quand mes yeux et mes mains parcourent les collections sur les portants, je me dis que Cottle n’a pas grand-chose à envier aux grands couturiers qui défilent sur les podiums à quelques stations de métro.

Le défi : recréer la nature

Ce qui nous attire tant vers les matières japonaises, ce sont leurs irrégularités et couleurs qui apportent de l’authenticité et du naturel. Un peu comme si elles avaient poussé quelque part, dans la terre ou sur un arbre.

Quand Toshi me raconte son travail sur la collection, je réalise qu’il a poussé ce concept bien plus loin.

La collection se divise en deux gammes :

  • “Uniform for living”, regroupant les essentiels du vestiaire qui sont donc pensés comme un uniforme du quotidien.
  • “Senkohsuiu”, qu’on pourrait traduire par l’idée de créer l’inattendu dans les matières, en y incorporant la beauté de la vie autour de nous.

Et justement, pour créer un vêtement, Toshi part toujours de la matière. C’est seulement après qu’il va développer la coupe et les patrons, pour qu’ils s’adaptent au mieux à cette dernière.

C’est ce qu’il a fait pour “Earth Wall”, mon étoffe préférée dans la collection.

Bonne gueule

Pour l’obtenir, il s’inspire de la texture et des couleurs d’un vieux mur en pierre encore debout devant son atelier. Un travail qui représente bien la philosophie “Senkohsuiu”.

Bonne gueule
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Pour aller au bout de sa philosophie, Toshi veut trouver une composition aussi riche que celle du mur en question, qui n’est pas seulement fait de pierre : sa confection a impliqué de la poudre d’acier, du bamboo et même de la paille pour la fermentation. Cela permettait une bonne résistance au temps, aux éléments et donc à différents climats. D’où la quête d’une étoffe durable et portable quatre saisons au Japon.

Toshi utilise donc un fil cachemire et de laine, dont la torsion sur un métier vieux et lent crée des irrégularités de texture.

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Il couple avec un fil de coton, épais et né d’une torsion faible également, ce qui le rend plus nerveux.

Bonne gueule
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Pour se rapprocher de la couleur du mur, Toshi fini par trouver la bonne formule en ne teignant aucun fil. Il préserve ainsi l’aspect le plus naturel possible. Ensuite, il ajuste la couleur à l’aide d’un champignon : le basidiomycète.

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Il crée ensuite une variante de cette matière en teignant le fil de coton en noir, ce qui donne un résultat bien différent.

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Deuxième matière qui m’a le plus marqué : “Leaf Vein”. Comme son nom l’indique, elle s’inspire de la structure vasculaire des feuilles, avec des broderies posées à la main sur un col, sur une doublure ou le long d’une couture.

Bonne gueule
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On retrouve aussi un aspect mat et une texture craquante qui rappellent effectivement celle d’une feuille.

Bonne gueule
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Ce qui m’a le plus intrigué dans cette étoffe, ce sont les techniques de teinture utilisées. Tout est teint à la main, à partir d’indigo naturel (chose plutôt rare de nos jours, même dans l’écosystème des tisserands japonais), d’indigo naturel mélangé à des teintures de vieux vêtements de surplus, débouchant sur un vert accidentel et même… de kaki.

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Toshi m’introduit ainsi le “Kakishibu”, une ancienne méthode de teinture réalisée à partir de jus de kaki fermenté. La couleur est ensuite fixée avec un agent naturel appelé mordant. Chaque pièce est ensuite suspendue et séchée au soleil, ce qui oxyde la teinture et la rend plus foncée.

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Bien que la troisième matière exposée fasse partie de l’autre gamme, “Uniform for living”, elle s’inspire de la nature aussi. D’un champ de blé au coucher du soleil, plus précisément. Et quand on voit ce velours écru, on comprend bien l’idée.

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Toshi l’a nommé “Golden wheat field Corduroy”. Les côtes sont épaisses comme aime, la main est douce et souple. C’est le résultat d’un mélange de coton bio Pima et de coton Shankar (de la région de Shankarapura en Inde), tous deux réputés pour la longueur de leurs fibres et leur douceur.

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Comment la nature taille-t-elle ?

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Voici quelques photos pour vous le montrer, et parce que je n’allais quand même pas repartir sans essayer ces pièces.

La plupart des coupes sont droites ou légèrement amples. Les vêtements sont unisexes et leurs tailles vont de 0 à 4. Pour l’homme, 1 correspond à S, 2 à M, 3 à L et 4 à BON vous avez compris.

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Comme on le dit dans le milieu, j’ai size down d’une taille pour la chemise. Une taille 2, donc M, pour mon L habituel (XL chez BonneGueule) et mes 1m91 pour 80 kilos. La ligne d’épaule s’arrête là où il faut, pas d’excès de longueur ni de largeur aux manches à mon goût.

Le pantalon, fait dans une version marron du “Golden wheat field Corduroy”, demande plutôt un size up. Une taille 3, soit 34, pour mon petit 32. C’est une taille haute. Le fit est droit, voire même légèrement évasé en bas, et la souplesse du velours fait qu’il tombe très bien. Une retouche est à prévoir en longueur.

Bonne gueule
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La veste coordonnée est dans ma taille habituelle. 3, donc L. Volume droit également et petit raccourcissement de manches à prévoir dans mon cas.

Il se trouve que cette couleur disponible sur place et dans ma taille matche plutôt bien avec mon pull à col polo BonneGueule. Les chaussures sont des Velasca et la ceinture vient de chez Olive Clothing.

Quand je pars me changer en cabine, Toshi me tend un jean à essayer. Son premier grand travail de création par l’expérimentation. Trois ans de développement. Toshi tenait à reproduire un denim selvedge iconique, développé par Kichinosuke Tonomura à l’institut de recherche de Kurashiki, ville de son enfance. Il voulait retrouver ce liseré selvedge rouge posé à la main.

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Sa couleur rouge bien est caractéristique de la teinture Bengara, utilisée dans les vêtements traditionnels japonais depuis des siècles. Problème : fragilisé par cette teinture naturelle, la bobine de fil cassait à chaque fois. Toshi a fini par trouver un moyen de renforcer le fil tout en préservant son héritage, en le renforçant avec de la cire.

J'essaye le jean avec la veste de la gamme “Leaf Vein”.

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C'est un 34 (donc size up sur les deux pantalons portés) et il se pose très bien sur ma taille (un petit 32). C’est une taille haute d’ailleurs, avec une coupe straight qui aurait mérité des chaussures moins imposantes que les miennes ce jour-là, un denim très souple et moucheté. 91% coton, 9% lin.

Pour la veste, c’est size down : taille 2/M. Une petite retouche des manches à prévoir.

Comme vous vous en doutez, c’est bien normal d’avoir des petites différences de sizing avec des matières artisanales et qui vivent leur vie comme celles-ci. J’espère que cet essayage vous aidera si vous sautez le pas. Pour les autres coupes, vous pouvez vous référer aux mesures sur les pages de présentation des vêtements. Ce qui nous amène à la question…

Où trouver des vêtements Cottle ?

Pour l’ensemble de la collection, Tomo recommande de passer par l'e-shop de Cottle qui est basé au Japon. Il y aura donc des frais de douane à prévoir.

L'e-shop suisse DeeCee Style propose une sélection de la marque également. Et il y a aussi Canoe Club, basé aux États-Unis. Parfois, vous trouverez des sélections Cottle chez Mr. Porter et pour la seconde main, Ebay sera votre salut.

Vous pouvez aussi guetter l’éventuelle arrivée de la marque en Europe, ne serait-ce que pour un showroom, sur la page Instagram Cottle. Une ouverture à l’international que Toshi aimerait pouvoir réaliser un jour. Nous l'espérons de tout cœur également, car lui et son équipe le méritent.

En voyant le prix de certaines pièces, on peut parler de l’achat d’une vie. Un fragment d'artisanat qu’on peut difficilement comparer à autre chose que du luxe. Le genre de luxe qu’on aimerait voir plus souvent. Celui qui fait vivre des traditions et des passions, en nous transmettant les subtilités qu’elles ont à nous apprendre.

Merci pour la transmission, Toshi.

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