Les aventures et petits secrets de style d’Antoine Doinel – Bobine

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Les aventures et petits secrets de style d’Antoine Doinel – Bobine

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Publié le : 27 juillet 2020Mis à jour le : 26 septembre 2022

(Crédit photo de couverture : Jean-Pierre Léaud dans « L’Amour en fuite », 1979 - Photo Dominique Le Rigoleur / MK2 Films)

Paris, Septembre 1958. Désormais derrière la caméra, François Truffaut n’a que 26 ans lorsqu'il se lance à la recherche de celui qui tiendra le rôle de son premier long métrage. Il passe une annonce dans le journal et découvre lors des auditions le visage de son futur alter ego : il s'appelle Jean-Pierre Léaud, c’est un jeune garçon de 14 ans et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’a pas sa langue dans sa poche. L'audition est magique, heureusement filmée, comme emprunte d’une éternelle fraîcheur.

Ainsi prend vie le personnage fictif d’Antoine Doinel qui doit paraît-il son nom de famille à la secrétaire de Jean Renoir, grand maître du cinéma français et inspiration majeure du cinéaste Truffaut.

Quant au fond du personnage, disons qu’il doit autant à son interprète qu’à son créateur : les deux sont inextricablement liés. Le tournage des « 400 Coups » débute le 10 novembre 1958.

Personne ne se doute alors que la vie d’Antoine Doinel est amenée à s’inscrire durablement sur les écrans de cinéma. A travers les cinq films qu’il consacre presque accidentellement à ce personnage, François Truffaut développe à la fois l’histoire d’une vie et un parcours de style sur une période de vingt ans, l’occasion pour nous d’en tirer quelques petits secrets et enseignements.

1959 : le col roulé, Balzac et Monika

Tout commence sur les bancs de l’école. « Les 400 Coups », premier film de François Truffaut, est un petit chef d’œuvre que l’on peut placer aux côtés du « Zéro de conduite » de Jean Vigo. C’est un vent de fraîcheur et de liberté en même temps qu’une histoire grave sur les vicissitudes de l’enfance.

On y découvre le quotidien parisien et turbulent du jeune Antoine Doinel, coincé entre les réprimandes de son instituteur « Petite Feuille » en classe et celles de sa mère et de son beau-père à la maison. C’est un film à la fois dur et tendre, avec quelque chose d’inédit même encore aujourd’hui.

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© John Springer Collection/CORBIS/Corbis via Getty Images

Jean-Pierre Léaud dans « Les 400 Coups », 1959.

La première image d’Antoine Doinel au cinéma est à peu de chose près celle que l’on gardera de sa jeunesse : cheveux courts en bataille, grosse maille rustique à col roulé?Les poignets sont ici retroussés, premier secret de style., pantalon en gros velours côtelé et chaussures noires de type derbys. Pour accompagner cette tenue type, une bonne veste à carreaux en laine et une sacoche en cuir. Si vous avez tout à coup la sensation d’un je ne sais quoi de familier, c’est peut-être parce que cette tenue-là a quelque chose de résolument actuel.

D'abord parce qu'après être tombé en désuétude, le pantalon en velours côtelé et le velours en général reviennent en force depuis quelques années maintenant. Ensuite parce que le col roulé est une valeur sûre. Certes, forme ou coupe ne sont peut-être plus tout à fait identiques aujourd'hui. Mais c'est bel et bien un indémodable, dans la vie comme au cinéma : regardez par exemple Jean-Paul Belmondo dans « La Sirène du Mississipi » ou Marlon Brando dans « Le Dernier Tango à Paris ».

Quant au style du jeune Antoine Doinel revisité : imaginez par exemple une veste Oliver Spencer ou Universal Works, un col roulé BonneGueule ou De Bonne Facture, un pantalon en velours côtelé Ami ou Berg & Berg, de beaux souliers et une sacoche en cuir Bleu de Chauffe. Entre-temps, vous pouvez vous amuser à reconstituer mentalement votre style au même âge. Si comme Antoine Doinel vous aviez déjà du style avant vos quinze ans, chapeau bas. Sinon, ne vous inquiétez pas : l’histoire ne s'arrête heureusement pas là.

Ce que vous découvrirez d’autre dans ce vestiaire?Un ou deux pulls, un débardeur blanc, un pyjama. ne changera rien à la vue d’ensemble, pas même le passage de notre héros en Centre d’Observation pour Mineurs. Car si la discipline et le style y sont militaires, l’esprit continue lui de rêver aux étoiles : Antoine Doinel est un fervent lecteur de Balzac et on peut y voir tout à la fois un remède et un poison pour survivre aux temps modernes.

A travers ses lectures?Ici par exemple « La Recherche de l’absolu ». se dessinent les contours de son possible devenir, celui d’un personnage éminemment romanesque, écartelé entre la vie réelle et la vie rêvée. Il sera de fait toujours un peu dans son monde, à côté de tout.

En attendant, Antoine et son très élégant ami René préfèrent les salles de cinéma aux salles de classe, ne serait-ce que pour chaparder le poster d’Harriet Andersson, la belle Monika d’Ingmar Bergman. C’est au passage un autre grand film sur l'adolescence. Et une première icône féminine à joindre au dossier Doinel. Il y en aura bien d’autres.

1962 : le costume, la mèche et le nouveau monde

Alors qu’il vient de tourner l'iconique « Jules et Jim », François Truffaut se voit commander une petite histoire pour un film à sketches intitulé « L'Amour à vingt ans ». C’est l’occasion de renouer avec la vie d’Antoine Doinel, de prendre le pouls de la société française.

A travers « Antoine & Colette »., on retrouve notre héros dans les premières années de la décennie 60. Il vit toujours à Paris, aux abords de la Place Clichy : c’est un jeune homme tout juste majeur mais déjà très indépendant. Si sa famille a complètement disparu du paysage, son fidèle ami des « 400 Coups » est encore un peu là, par intermittence.

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© Keystone-France/Gamma-Keystone via Getty Images

Jean-Pierre Leaud et Marie-France Pisier dans « Antoine et Colette », 1962.

Comme chez Hitchcock, son obsession se cristallise d'entrée sur sa nuque et ses cheveux. Et comme souvent chez Truffaut, il est question de lettres, de romans et de belles formules, qu'elles soient inventées ou récitées, comme par exemple ici « Vipère au poing » d’Hervé Bazin.

« Antoine et Colette », c’est en tout cas le récit d’une première déception amoureuse. C’est bref, spontané, une jolie curiosité pour qui s'intéresse à ce qu’était le quotidien de ces années-là.

Coté style, Antoine Doinel semble être rentré dans le rang : costume gris, chemise blanche, cravate club, souliers et pardessus, rien qui ne soit pas aujourd’hui transposable?Attention, ne vous attendez pas non plus à retrouver les coupes d'antan. et disponible chez toutes les bonnes marques dédiées au costume et à l'élégance formelle, de Suitsupply à Pini Parma.

C’est qu’à l’heure du passage aux années 60, l’excentricité relative d’Antoine Doinel n’est plus à chercher du côté de ses vêtements mais bel et bien de ses cheveux, qui commencent lentement mais sûrement à pousser. « Ma mère vous a trouvé l’air romantique, probablement à cause de la longueur de vos cheveux » lui écrira Colette.

On assiste à la naissance de la mèche de Jean-Pierre Léaud : c’est le début d’un nouveau monde et cela coïncide évidemment avec une certaine émancipation à l’œuvre dans le cinéma, la mode et la société en général.

1968 : la chambre bleue, le layering et les pneumatiques

Six ans plus tard, la France se réveille sous la plage et les pavés de mai 1968. Antoine Doinel a de son côté toujours la tête dans les nuages. Si « Baisers Volés » est un film léger, nostalgique et en grande partie improvisé, c’est aussi la première aventure de notre personnage en couleurs, l’occasion pour nous d'apprécier un peu mieux ses choix stylistiques.

Après un passage volontaire par l’armée où on le voit arborer chemise et cravate beiges sous un uniforme marron de l’armée française?Pour les amateurs du genre, vous pouvez jeter un œil chez Brut Clothing, à Paris., Antoine Doinel retrouve sa liberté. Il a gagné en confiance, en style, en longueur de cheveux et il a vraisemblablement dévoré « Le Lys dans la vallée » de Balzac.

A Paris, dans un immeuble de la place St Pierre, il retrouve son home sweet home avec vue sur le Sacré Cœur : c’est une chambre bleue, avec des livres sur les étagères et un cendrier pour le moins débordé. Son retour à la vie civile passe par les petits boulots.

C’est ainsi que l’on découvre nombre de nouveautés dans son vestiaire. Prenons par exemple sa tenue de veilleur de nuit d’hôtel : un cardigan camel bien épais?Poignets retroussés ici aussi, comme sur les cols roulés., un improbable pull rouge en dessous, une écharpe à motifs avec du bleu, du violet et du bordeaux, un pantalon gris foncé et des souliers noirs.

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© RDB/ullstein bild via Getty Images

Jean-Pierre Léaud dans « Baisers Volés », 1968.

Un peu plus loin, il quittera le cardigan pour un beau blazer à mi-chemin entre le gris et le beige. Pour un œil contemporain, imaginons un pull fin bordeaux et un cardigan en laine de chameau BonneGueule, un beau pantalon Scavini, un blazer de caractère type Thomas Farthing et une écharpe/foulard A Piece Of Chic.

Pour les souliers, vous connaissez déjà la chanson et pour ceux qui aiment la lecture : Antoine Doinel lit désormais « La Sirène du Mississipi ».
 
A la vitre de l'hôtel se tient la fidèle Christine. C’est une apparition, semblable à celle d’Anna Karina deux ans plus tôt dans « Alphaville ». Elle ne le quittera plus.

Antoine Doinel devient par la suite détective, comme Buster Keaton dans « Sherlock Junior », et c’est un nouveau changement de style : beau pardessus à chevron gris foncé, écharpe, pantalon et souliers comme précédemment observés, ici associés avec une cravate à carreaux, pull col V et cardigan marine ou vert foncé. Pour ces nouveaux ajouts au vestiaire d’Antoine Doinel, on peut trouver l’inspiration chez Drake’s pour les cravates, Husbands ou From Future pour le pull col V, Tricot Paris ou BonneGueule pour le cardigan.

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© RDB/ullstein bild via Getty Images

Jean-Pierre Léaud dans « Baisers Volés », 1968.

Parmi ses petits secrets : notons la récurrence de l'accessoire autour du cou (écharpe, foulard), les poignets toujours retroussés des mailles, le tombé impeccable des pantalons sur les chaussures et cette propension croissante au layering élégant. Il possède en outre l’un des plus mythiques pyjamas de cinéma.

De tous les films du cycle Antoine Doinel, « Baisers Volés » est probablement le plus riche d'informations sur le style de notre héros. Impossible de tout lister. Impossible non plus d’oublier ces personnages hauts en couleurs, le charme magnétique de Fabienne Tabard, la visite de Paris à travers la Poste pneumatique et les émouvantes retrouvailles avec Christine.

Au matin, le monde a semble-t-il changé : les paroles s’échangent sur des bouts de papier, entre deux bols de café et une rangée de biscottes. C’est ici, à l’abri des révolutions en cours, que la vie d’Antoine Doinel va prendre un nouveau départ.

1970 : Alphonse, le blouson en cuir et les femmes japonaises

« Domicile Conjugal » sonne l’entrée d’Antoine Doinel dans la décennie 70 et sa vie semble bien n’avoir jamais été aussi stable ni son style plus décontracté. C’est du moins ce que laissent paraître les premières images : blouson en cuir noir comme on en voit beaucoup à cette époque, col roulé orange, pantalon de velours marron kaki, souliers marron.

La mèche de cheveux est toujours là, et pour les amoureux du détail, on voit désormais chez Antoine Doinel de nouveaux accessoires, comme par exemple ici un bracelet en métal.

Pour les plus curieux : vous pourrez redécouvrir le plaisir des vêtements de cette époque en friperie, ou tenter quelque chose d’approchant chez Oliver Spencer pour le col roulé, Ami ou Berg & Berg pour le pantalon et Aero Leather pour le cuir.

L’avant dernier épisode du cycle Antoine Doinel est la suite logique de « Baisers Volés ». Il s'articule autour d’une cour d’immeuble et de sa galerie de personnages, comme « Le Crime de Monsieur Lange » de Renoir. Christine donne des cours de violon à domicile, Antoine colorise les fleurs, théorise sur l’art floral et court comme à son habitude un peu dans tous les sens.

Depuis le film précédent, ils se sont mariés et vivent désormais ensemble. Bientôt ils auront un enfant prénommé Alphonse. Nul doute que l’histoire aurait pu s'arrêter là si Antoine Doinel n’avait pas le goût de l’aventure permanente : ses changements de jobs sont incessants et sa fascination pour les femmes insatiable, en témoigne cette nouvelle idylle avec une femme japonaise nommée Kyoko.

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© John Springer Collection/CORBIS/Corbis via Getty Images

François Truffaut, Jean-Pierre Léaud et Hiroko Matsumoto, sur le tournage de « Domicile Conjugal », 1970.

C’est un personnage complexe, tout à la fois odieux et attachant, timide et conquérant. Pendant ce temps, le couple Doinel explose, de la même manière que ce qui reste de la Nouvelle Vague.

Question style, le Doinel de « Domicile Conjugal » ne se fixe pas davantage : il navigue entre la tenue présentée plus haut, avec une grande variété de choix de couleurs dans ses cols roulés et quelque chose de plus habillé, souvent un pardessus allié à des costumes gris, une écharpe en soie, des cravates kingsize et des chemises blanches ou bleues à poignets mousquetaires. Pour ces dernières, on peut regarder chez Howard’s si on veut s’y essayer.

Pour le reste, François Truffaut glisse une nouvelle fois quelques clins d’œil cinématographiques malicieux et une fin ouverte, ici en forme de happy-end. Antoine Doinel semble néanmoins tourner en rond : et s'il nous avait déjà tout dit ?

1979 : La chanson, le geste et la postérité

A la surprise générale, Antoine Doinel réapparait pourtant à la toute fin des années 70, dans « L'Amour en fuite ». Il a passé la trentaine et se réveille barbe naissante dans les bras de la jeune Dorothée.

Quand vient le moment de s’habiller, on découvre chez notre personnage une tenue des plus classiques, fruit des diverses expériences stylistiques des films précédents : l'incontournable pantalon gris foncé et la chemise bleue, un pull fin à col rond à mi-chemin entre le gris et le bleu et un blouson de cuir, marron cette fois, comme pour rappeler la tenue de François Truffaut dans « La Nuit Américaine ».

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© Dominique Le Rigoleur / MK2 Films

Jean-Pierre Léaud dans « L'Amour en fuite », 1979.

Ailleurs dans ce vestiaire : rien de bien nouveau, des blazers gris, des chemises blanches, des cravates et des souliers noirs. Notez que la plupart de ces pièces apparaîtraient sans doute un peu quelconques chez la plupart des hommes : ce qui fait le style si particulier d’Antoine Doinel, c’est un esprit très XIXe allié à un subtil équilibre de gestuelle et de vêtements, qui doit évidemment beaucoup à son interprète.

Si de l'autre côté de la Manche, la mode se réinvente auprès du mouvement punk, de Norman Mc Laren et de Vivienne Westwood, vous ne trouverez nulle trace de révolution dans « L'Amour en fuite ». C’est un résumé de vingt ans d’histoires : la vie, l’amour, la mode.

De fait, la plupart des secrets de style d’Antoine Doinel sont disséminés dans les films précédents, ce que souligne la structure même de « L'Amour en fuite » : c’est un genre de film témoin, avec une large part de flashbacks sur la vie passée de notre personnage fétiche et une chanson de Souchon qui résume toute l’affaire.

Personne ne sait réellement ce qu’il est advenu d’Antoine Doinel depuis. Il a probablement les cheveux longs et blancs et termine la lecture d’un énième roman. Il aime peut-être aussi le velours ou les cardigans à col châle. Ce qui est sûr, c'est qu'il est bien entré dans la grande histoire du style et du cinéma.

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