« L’Impasse » : vestes en cuir, costumes et camaïeux – Bobine
Le film « L'Impasse » de Brian De Palma est considéré comme un des tout meilleurs du cinéaste. L'acteur principal, vous le connaissez : il s'appelle Al Pacino. Il était déjà du voyage « Scarface » en 1983 et on peut sans mal ajouter Carlito Brigante à la liste de ses personnages les plus charismatiques. L'attitude est là, le style aussi : rien n'a vraiment changé dans le vestiaire d'Al Pacino et pourtant tout est différent. Explications.
(Crédit photo de couverture : Al Pacino dans « L'Impasse » de Brian De Palma, 1993 - IMAGO / Everett Collection)
LE PITCH : LA RETRAITE, SHAKESPEARE ET LES GANGSTERS
New York, années 70. Carlito Brigante vient de passer cinq ans en prison et s'apprête à tourner la page. Fini les trafics et les histoires de flingues. Connaît-il autre chose que le monde impitoyable et très codifié des gangsters ? Rien n'est moins sûr, mais après tout, il n'est pas interdit de rêver à la retraite.
Pourtant, personne n'y croit vraiment, à commencer par son ami et avocat interprété par Sean Penn. Carlito Brigante aura-t-il droit à une seconde chance ? Les premières images du film vous donneront d'entrée la réponse. Reste à remonter le fil de cette histoire. C'est une tragédie de type shakespearienne.
À quoi reconnaît-on un film de Brian De Palma ? À l'œil de sa caméra, qui hésite toujours un peu entre l'art virtuose du suspense, le voyeurisme et l'art plastique. Le cinéaste ne s'est jamais caché de son admiration pour le travail d'Alfred Hitchcock. Mais ses films ne sont pas de simples relectures de grands maîtres.
Chez lui, je vous recommande par exemple vivement « Blow Out » ou « Body Double ». Quant à « l'Impasse », c'est un genre de film somme, un peu comme peut l'être « Casino » de Martin Scorsese.
En revanche, ne soyez pas surpris : Carlito Brigante est une sorte de croisement entre le Michael Corleone du « Parrain » et le Tony Montana de « Scarface ». Même univers, même goût pour le costume, le luxe et la grande vie.
Mais « l'Impasse », c'est surtout un nouveau rôle en or pour Al Pacino et l'occasion pour lui d'endosser une nouvelle tenueSuffisamment culte pour être déclinée en figurines et autres costumes cosplay. À ses côtés : un Sean Penn métamorphosé, Penelope Ann Miller, ou bien encore la future star du « Seigneur des Anneaux » Viggo Mortensen, ici dans un rôle aussi bref que remarquable.
Blazer gris en probable velours ras, chemise à col cubain imprimée et fauteuil roulant, l'occasion de rappeler si besoin était que le style n'est pas réservé qu'aux personnes valides.
Au niveau des marques que vous croiserez dans les costumes du film, rien de foufou ou de notable par rapport à notre univers habituel : Ike Behar ou Bergdorf Goodman pour les chemises, Scafati pour les costumes, B. Forman Co pour les cravates, Aurelio Garcia pour les chaussures - il se murmure aussi que la montre d'Al Pacino serait une Piaget. Quant aux vestes en cuir, elles viennent peut-être des friperies ou des magasins new-yorkais.
Si rien de tout cela ne vous parle, ce n'est pas bien grave : l'essentiel ici est dans le style. Regardez par exemple chez Sean Penn :
Les costumes du film sont signés Aude Bronson-Howard et elle a travaillé sur la série des « Mafia Blues » avec Robert Niro et aussi sur « Donnie Brasco » avec Johnny Depp et...Al Pacino.
Si le film de Mike Newell est nettement moins impressionnant que celui de Brian De Palma, il y a en revanche quelques similitudes notables avec « l'Impasse » dans le choix des vêtements.
CE QU'IL FAUT VOIR CÔTÉ STYLE…
Vous le verrez bien vite : l'action du film se déroule dans les années 70 et la mode s'en ressent. Absent de la vie en société pour cause de prison, Carlito Brigante se rend bien compte que les temps ont changé. « Où sont passées les minijupes ? » s'interroge-t-il ainsi tandis qu'il regarde passer les filles.
Vous voyez l'attitude ci-dessous, la coupe du pantalon ? D'une manière générale, le Milieu ici semble toujours privilégier le port du costume. Mais quelques nouveautés apparaissent ici et là :des chemises à cols cubains, des vestes et manteaux en cuir, et d'une manière générale tout un arsenal de couleurs typique des années 70, à base de jaune, vert ou marron.
Ajoutons à cela des paires de lunettes de soleil type Ray Ban un peu partout et des bagues, bracelets, montres et colliers qui brillent et vous commencez peut-être à voir arriver les années 80.
La couleur dans le vêtement, c'est l'une des clés de compréhension du style de ce film sur la fatalité. Mais à choisir, voici au moins trois bonnes raisons de (re)voir « l'Impasse » de Brian De Palma :
1. LA VESTE EN CUIR, LE MARQUEUR VESTIMENTAIRE DES ANNÉES 70
À l'évidence, « Shaft » et ses associés sont passés par là. L'heure est aux musiques de danse, au funk et au disco. Dans les rues de New-York, on porte désormais toutes sortes de vestes et blousons en cuir ou assimilé. Noir, marron, parfois même crème et patchwork, ce type de pièces faisait déjà tout le sel stylistique de Richard Roundtree, l'un des plus fameux détectives noirs du cinéma et déjà évoqué dans un précédent Bobine.
© IMAGO / Everett Collection
La tenue type d'Al Pacino dans « L'Impasse », 1993.
Ici, c'est aussi la pièce maîtresse du vestiaire d'Al Pacino. Regardez plutôt son long manteau façon trench en cuir noir. Ce n'est ni une tenue du nouveau Matrix ni un personnage de Sergio Leone. Mais on peut dire qu'il y a un quelque chose du nouveau western dans cette attitude, le manteau en cuir remplaçant ici le duster coat des cow-boys américains.
Ce n'est pas la seule pièce en cuir du vestiaire d'Al Pacino dans « L'Impasse » : il possède également une autre veste, plus courte, de couleur marron et très typique de cette époque. Le ton est ainsi donné : ici le cuir répond à la fois à la dureté d'un métier et aux tendances d'une époque.
En résulte une tenue volontiers « badass » et immédiatement identifiable, qui répond par ailleurs à une vraie question de style : peut-on associer la veste en cuir et le style formel ? Comme vous pourrez le voir, Al Pacino a sa petite idée sur la question. Seriez-vous à même de suivre cette voie ? Pour vous aider dans vos recherches sur les blousons et vestes en cuir :
2. LE COSTUME 3 PIÈCES, L'INCONTOURNABLE DU FILM NOIR
Autre élément clé du film : le costume pour homme, dans sa version 3 pièces. C'est loin d'être un détail : il s'inscrit dans une longue tradition du film noir, qui veut que les gangsters soient toujours tirés à 4 épingles. Jetez par exemple un œil sur les anciens « Scarface » d'Howard Hawks ou « Le Faucon Maltais » de John Huston : vous verrez qu'on ne badinait pas avec le style.
Même chose chez Carlito Brigante, Sean Penn et leurs camarades : cravates, pochettes, boutons de manchette, vestes, gilets et pantalons qu'on imagine sur-mesure. Bien sûr, les coupes et le format king size des cravates renvoient aux années 70.
© IMAGO / United Archives
Al Pacino et Sean Penn, ici dans un beau costume à rayures bleu marine. « L'Impasse », 1993.
Mais l'essentiel est toujours là. Du noir, du gris, du bleu et quelques couleurs beaucoup plus osées : vous verrez que le style formel s'adapte, même si partout ailleurs, la révolution du casual et du décontracté est déjà en marche.
Est-ce à dire que « l'Impasse » raconte aussi les derniers vestiges du costume d'avant le prêt-à-porter ? Ce serait certainement exagéré. En revanche, nous avons de toute évidence changé de monde depuis et cet art ancien du costume est désormais à réinventer.
À propos du costume 3 pièces, vous pouvez toujours jeter un œil sur la petite histoire du nôtre :
3. L'ART DE LA COULEUR ET LES ROBES DE PENELOPE ANN MILLER
C'est une des dimensions les plus symboliques du film : le travail sur la couleur, assez étroitement lié vous le verrez à l'action et à la musique. Si Al Pacino opte régulièrement pour des tenues sombres, celle qui fait battre son cœur est d'une certaine manière son exact opposé : blonde, empreinte de légèreté, de lumière et de tenues colorées.
© IMAGO / Cinema Publishers Collection/Louis Goldman
Penelope Ann Miler dans « L'Impasse », 1993.
À lui la violence et le crime, à elle l'amour et l'espoir ? Malgré un monde résolument dur et machiste, « l'Impasse » est tout de même un peu plus complexe que cela.
Plusieurs niveaux de lecture donc, plusieurs sources d'inspirations également. Le personnage de Penelope Ann Miler évoque évidemment les grandes héroïnes et le fétichisme malade d'Alfred Hitchcock mais aussi une vision du cinéma plus glamour et Technicolor tel qu'incarné jadis par des stars comme Marilyn Monroe. D'où un peu de strass et de paillettes, des robes décolletées, des motifs et des couleurs - rose, vert, blanc ou doré.
Ceci étant, comme je vous le disais : tout n'est pas aussi stéréotypé et son vestiaire n'est pas uniquement tourné vers le monde de la nuit. C'est-à-dire qu'elle porte aussi des vêtements de tous les jours, plutôt casual : haut à motifs fleuris, jean, jupe, veste en probable daim, etc.
Si les couleurs les plus souriantes sont à chercher du côté des femmes, ce n'est peut-être pas non plus un hasard : la plupart des hommes du film terminent malheureusement leur parcours à l'hôpital ou au cimetière. Pour aller plus loin sur le sujet des couleurs :
… POUR EN ÉLABORER DES TENUES INSPIRANTES
1. POUR APPRENDRE À FAIRE DES CAMAÏEUX
On l'a vu plus haut : le personnage d'Al Pacino n'est pas vraiment porté sur les couleurs claires quand bien même vous le verrez une fois en costume blanc. Pour le reste : vous n'y verrez que du sombre, du sombre et des variations autour du marron.
Toute la magie de son style tient en partie dans sa gestion des couleurs. On vous parle de temps à autre de camaïeux, mais rarement de camaïeux réalisés avec du sombre. C'est précisément l'astuce de style ici : jouer avec les nuances de noir, de bleu nuit, de gris anthracite, de bordeaux très foncé ou de violet bien pourpre.
© IMAGO / Ronald Grant
Al Pacino et son jeu de couleurs dans « L'Impasse », 1993.
La longue veste en cuir noir, c'est souvent le point d'attention de ses tenues. Mais si vous regardez plus en détail, vous verrez qu'il s'amuse à créer des jeux de correspondances tout en étant du côté obscur des couleurs. Croyez-le ou non : c'est une vraie réussite, surtout dès qu'il compose avec les nuances de rouge et de violet, pourtant pas les couleurs réputées les plus faciles à porter.
2. POUR FAIRE RIMER CUIR ET TENUE HABILLÉE
Vous le savez : certains registres de style ne sont pas incompatibles. Les vestes en cuir chez l’homme sont souvent associées à un style brut issu des mondes du rock ou de la moto. Avec la mode, ce type de pièces s’est cependant ouvert à un public plus large.
Quant au costume et au registre formel, il est plus codifié encore. Pourtant l’un et l’autre peuvent parfois s’accorder ensemble. C’est en substance ce que vous invite à tenter Al Pacino dans « l’Impasse ». Je dis bien tenter, car il est possible que l’attitude et le contexte jouent un rôle central dans la perception que l’on peut avoir de ses tenues.
© IMAGO / Everett Collection
Al Pacino dans « L'Impasse », 1993.
L’image parle en tout cas d’elle-même :boots, costume trois pièces, chemise, cravate et veste en cuir. Et si de votre côté, vous vous laissiez convaincre ? Si le costume et le gilet vous paraissent de trop, commencer par petites touches, avec une veste en cuir, une chemise et une cravate par exemple.
3. POUR L'EXPÉRIENCE DES NUANCES DE ROUGE
Oui, je sais : on rentre ici dans la catégorie des tenues compliquées à porter dans la vie de tous les jours. Et pourtant, comment ne pas être un peu ébahi par cet aplomb et ce mélange de rouge et autres teintes violettes porté par l'acteur John Leguizamo ?
© IMAGO / Everett Collection
John Leguizamo et son costume rouge dans « L'Impasse », 1993.
On pourrait associer cette tenue très habillée à un parfum fruits rouges : costume rouge, chemise délicatement violette, cravate assortie et motifs à pois ici et là. En voilà un qui n'a pas attendu les conseils de Nicolò sur les couleurs : c'est osé, mais vous tenez là un camaïeu bien exécuté, dans un registre plus pimpant que l'ordinaire masculin du film.
Est-ce un hasard ? C'est un personnage qui a un rôle à jouer. Suspense, vous le découvrirez en vous (re)passant « L'Impasse » de Brian De Palma.
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