Comment le sport a-t-il révolutionné la casquette ?

Le chapeau, comme d’autres accessoires jadis indispensables, est aujourd’hui facultatif du point de vue de la bienséance. Sortir « en cheveux » n’attire plus aucun regard réprobateur.
Pour autant, et contrairement à d’autres éléments ayant paré nos ancêtres, il ne disparaîtra pas car il remplit encore sa fonction première : protéger la tête du froid hivernal et du soleil estival.
Autrefois, il existait un grand nombre de modèles, à assortir à sa tenue et aux circonstances : haut de forme, melon, casquette, panama, canotier... De nos jours, hors de grands mariages et de quelques événements mondains, presque tous ces modèles ont cessé d’être portés, exceptée la casquette.
À l’origine, ce couvre-chef, caractérisé par une calotte souple et une visière frontale, est davantage associé aux classes populaires qu’au grand monde. Contrairement à un haut de forme ou à une capeline, il ne nécessite ni matériau précieux, ni grand savoir-faire.
Julia Tagliabue, dans un mémoire rédigé sur le sujet à l’Ecole du Louvre en 2021, rappelait que les exemples les plus anciens retrouvés lors de fouilles archéologiques à Londres, datant du XVIe siècle, étaient composés de simple laine tricotée et feutrée.
Les casquettes que l’on porte aujourd’hui sont rarement fabriquées dans des matériaux plus nobles, mais n’en coiffent pas moins toutes les classes sociales, en tout temps et en tout lieu. On la trouve aussi bien à la plage que sur les tapis rouges.
D'ailleurs Nicolo résiste encore, il n'en porte toujours pas. Il vous explique pourquoi.
Cette casquette devenue universelle n’est pas celle des ouvriers et des paysans d’autrefois, ni celle des citadins en demi-toilette :c’est celle des joueurs de la Major League Baseball, et sans doute ne serait-elle jamais montée si haut si le sport n’avait pas transformé son style et ses usages depuis la fin du Moyen Âge.
UN COUVRE-CHEF POPULAIRE
La casquette, dans sa forme rudimentaire, remplit les devoirs premiers d’un chapeau : elle couvre la tête et protège les yeux du soleil. Lorsque l’on manque de moyens, on s’en contente, expliquant la relative stabilité de sa forme depuis la Renaissance. Portée par les paysans, les ouvriers, et plus largement les gens modestes, elle en est même devenue un symbole.
Pensons au modèle à calotte large et bouffante, baptisé gavroche, du nom d’un des Misérables de Victor Hugo ; à des publications plus récentes, comme le Discours d’une grande gueule coiffée d’une casquette de prolo d’Edouard Veniaminovitch Limonov (Le Dilettante, 2011).
Eugène Delacroix, La Liberté guidant le Peuple, 1830, Paris, Musée du Louvre. L’enfant de droite est régulièrement identifié comme le Gavroche de Victor Hugo, lequel ne publia pourtant Les Misérables que trente-deux ans plus tard. La casquette molle qu’il porte prit son nom. Crédit : Gettyimages
Depuis la naissance de la photographie, ce sont les gens du peuple que l’on a immortalisés avec leur casquette. À côté des ouvriers posant devant leur usine, ce sont aussi les fonctionnaires publics (postiers, chefs de gare…) et les serviteurs privés (chauffeurs, portiers…) qui la portent.
La leur, plus rigide, présente mieux et les rapproche visuellement du militaire et de son képi, dont il incarne à la fois l’autorité et la servitude, selon l’historien Colin Mcdowell. Pourtant, si la casquette est bien souvent le seul chapeau accessible aux gens en bas de l’échelle sociale, elle a également su séduire ceux assis sur ses échelons les plus élevés.
Chauffeur et dame photographiés à New York, vers 1905. La casquette rigide fait partie de son uniforme, comme de celui de nombreux autres employés.
À la Renaissance, on en retrouve des avatars aussi bien sur la tête des personnages populaires de Pieter Bruegel que sur celle des puissants portraiturés par Hans Holbein.
Hans Holbein le Jeune, portrait d’un homme, vers 1532-1535. New York, Metropolitan Museum of Art.
De même, les modèles mous portés par les classes laborieuses du XIXe et du XXe siècles ne sont pas si différents de certains adoptés par les messieurs du grand monde.
Robert Doisneau, photographe du Paris populaire du XXe siècle, portait lui-même la casquette molle associée dans les esprits aux classes laborieuses. Crédit : Crédit Gettyimages
Seulement, si les premiers ne disposent que de celui-ci et le portent en toute occasion, bourgeois et aristocrates, passée l’enfance, ne l’adoptent d’abord que pour une seule circonstance : faire du sport.
LE CHAPEAU DES SPORTIFS MONDAINS
Au XIXe siècle, les pratiques sportives se diversifient et attirent de plus en plus de monde. Elles demandent des tenues plus confortables et autorisent un certain « négligé ». Nombreuses d’entre elles comprennent une casquette. Il s’agit de garder la tête couverte, pour obéir à la bienséance tout en protégeant sans gêner le « fashionable » dans son activité. La visière reste indispensable pour ne pas avoir le soleil dans les yeux, et risquer de manquer sa cible, que celle-ci soit une balle ou un perdreau.
Pour naviguer il est de bon ton de porter une casquette de marin ; pour faire de l’automobile, un modèle proche d’un képi : légèrement rigide il devait pouvoir amortir une chute.
Après s’être coiffés de modèles d’une grande sophistication avec glands de passementerie, tels que pouvaient aussi en porter leurs petits garçons, les chasseurs, à cheval mais surtout à pied, portèrent des casquettes souples, plus ou moins éloignées de leurs avatars populaires, et ce jusqu’au XXe siècle.
Crédit : Gentleman's attire, Autumn 1855
En témoigne un article publié par Adam au printemps 1958, rendant compte d’un événement ayant réuni le tout-Paris de l’époque : « Tous coiffés de casquettes, réunis pour un goûter de chasse, après avoir, fusil en main, disputé une âpre compétition de tir à la carabine, plus de 600 Parisiens avaient répondu à l’invitation les conviant en fin de journée au Pavillon d’Armenonville […]. Devenue l’accessoire numéro un de la garde-robe du sportif, de l’automobiliste, du citadin aux champs, compagne des heures de liberté, la casquette retrouve, ce soir, ses supporters et ses amis. »
Cette dernière phrase nous apprend d’ailleurs qu’à ce moment elle s’est émancipée des activités sportives stricto sensu et est désormais acceptée dans le cadre plus large des loisirs.
Depuis la fin de la Première Guerre Mondiale la casquette décontractée est en effet en lutte avec le chapeau traditionnel et le remplace dans de plus en plus d’occasions. En 1920 Jean d’Handilly, dans Monsieur, s’insurgeait d’ailleurs en constatant que le pesage, haut lieu de sociabilité aux courses, « n’[était] plus le Temple sacré des élégances. […] que de vestons ! Que de chapeaux mous ! Des cols mous ! Et enfin, comble d’égarement, des casquettes… ». Mais c’est un modèle bien spécifique qui abattit les dernières barrières : la casquette de baseball.
LA CASQUETTE DE BASEBALL À LA CONQUÊTE DU MONDE
La casquette telle qu’on se la représente, avec sa large visière et sa calotte composée de six triangles d’étoffe reliés au sommet par un bouton, est un modèle né avec le sport préféré des Américains. Les historiens s’accordent à dire que ce serait les Brooklyn Excelsiors qui, en 1860, auraient été les premiers à la porter.
À partir de là chaque club développa son propre modèle, conçu de manière à contribuer au bon jeu du joueur : des trous ménagés dans la calotte pour permettre à l’air de circuler, un bandeau placé au niveau du front pour absorber la sueur et empêcher celle-ci d’atteindre les yeux, une languette réglable à l’arrière…
Aux Etats-Unis le baseball est un sport universel : on exerce son lancer et sa réception le week-end, on va voir les matchs de ses enfants, on s’arrache les balles signées par les stars des terrains.
Plus que le sport lui-même, ce sont ces dernières qui vont contribuer à populariser la casquette : tous les supporters veulent ressembler à Babe Ruth dans les années 1930, à Joe DiMaggio dans les années 1940 ou à Mike Trout aujourd’hui. Ils arborent fièrement des casquettes identiques aux leurs, présentant le même logo sur la calotte, où celui-ci sut rapidement trouver sa place.
Carte de baseball autographiée, à l’effigie de Babe Ruth, vers 1921-1922.
Au-delà du sport, c’est d’ailleurs cette possibilité d’y inscrire ce que l’on veut qui va aussi contribuer au succès de la casquette de baseball : toutes les marques se l’approprient et s’octroient ainsi de la publicité gratuite sur la tête de leurs clients, quand ce ne sont pas les politiques qui en font des outils de propagande distribués dans leurs meetings.
DU TERRAIN AUX TAPIS ROUGES
Avec la mode du sportswear américain exportée sur tous les écrans, la « baseball cap » devient le couvre-chef par excellence dans les années 1980. Pas chère, elle remplace la casquette traditionnelle des ouvriers et des paysans ; d’un genre décontracté elle séduit aussi les plus grands pour leurs sorties décontractées, à l’instar de la princesse Diana.
Diana, princesse de Galles, photographiée en 1989 à Londres. Elle porte une casquette affichant l’emblème de la Royal Canadian Mounted Police. Crédit : Gettyimages
Bien entendu cela n’a pas été sans choquer et force est de constater que la casquette conservait, et conserve toujours, quelque chose de subversif. Elle a d’ailleurs aussi été adoptée par de grandes figures du hip hop et du grunge, porte-paroles de groupes déclassés, que ce soit pour leurs origines ethniques et/ou sociales. Elles-mêmes firent des émules auprès de leurs fans.
Après s’être approprié baskets et survêtements, les grandes Maisons de luxe ne pouvaient pas passer à côté de la casquette. Et quel meilleur endroit que sa calotte bombée pour afficher leur logo et obtenir, comme McDonalds avant elles, de la publicité gratuite ? Leurs clients, désireux de signifier à tous que leur modèle n’a pas été ramassé sur le passage du Tour de France mais a coûté plus de cinq-cents (voire sept-cents !) euros, ne demandaient pas mieux.
Les stars sont en casquettes sur les tapis rouges parce que c’est décalé, ou parce qu’elles ont cette indifférence aux codes propre aux nouveaux riches de notre temps.
Les gens ordinaires parce qu’elle tient chaud, protège du soleil voire dissimule à bas prix une calvitie qui complexe, sans donner l’allure trop « bourgeoise », voire déguisée, d’un chapeau.
Les employés de fast-food ou de stations-service parce que c’est un uniforme peu coûteux. Aujourd’hui, les seules à avoir dit non à cette transformation sportswear du couvre-chef sont les forces de l’ordre.
Après avoir été intégrée en 2004 aux tenues de la police par Christophe Galibert, alors directeur artistique de la Maison Balenciaga, elle vient d’être remplacée, début 2022, par le traditionnel calot, plus en accord sans doute avec l’idée que l’on se fait du prestige et l’autorité de l’uniforme.
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