Conseils : looks d’été et dark italien (feat. Transit Uomo)

10 min

Conseils : looks d’été et dark italien (feat. Transit Uomo)

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Publié le : 24 août 2016Mis à jour le : 16 octobre 2016

Accord intérieur & extérieur

Peu de films rendent véritablement l’atmosphère du désert - ou de livres, pour ce que ça vaut -, le sentiment de solitude et d’oppression, et l’écrasante beauté du sable roulant à l’infini des vagues d’or en fusion sous un soleil de plomb. Un thé au Sahara, de Bertolucci, peut-être, voire certaines scènes du Patient Anglais. Maupassant, dans La Peur, parle des

“Grandes dunes au sud de Ouargla. C'est là un des plus étranges pays du monde.

Vous connaissez le sable uni, le sable droit des interminables plages de l'Océan. Eh bien ! figurez-vous l'Océan lui-même devenu sable au milieu d'un ouragan ; imaginez une tempête silencieuse de vagues immobiles en poussière jaune. Elles sont hautes comme des montagnes, ces vagues inégales, différentes, soulevées tout à fait comme des flots déchaînés, mais plus grandes encore, et striées comme de la moire.

Sur cette mer furieuse, muette et sans mouvement, le dévorant soleil du sud verse sa flamme implacable et directe. Il faut gravir ces lames de cendre d'or, redescendre, gravir encore, gravir sans cesse, sans repos et sans ombre. Les chevaux râlent, enfoncent jusqu'aux genoux, et glissent en dévalant l'autre versant des surprenantes collines.”

Ralph Fiennes dans le Patient Anglais (1993)

Ralph Fiennes dans le Patient Anglais (1993)

 

Et puis, à l’inverse, il y a ceux qui parlent des villes, des édifices de la main de l’homme, fussent-ils d’étroits immeubles, malhabilement penchés au-dessus d’une ruelle pavée, qui observent depuis leurs toits de guingois les passants pressant l’allure, d’immenses hangars vides et inquiétants, ou des ruines mortes d’une abbaye oubliée par le temps, dont seules les pierres érodées témoignent encore de la splendeur passée.

Metropolis, ou certaines oeuvres de Tarkovsky comme STALKER ou Nostalghia, tourné entre les colonnes de l’abbaye toscane de Galgano, voire même le Batman de Burton, reflètent cet isolement de l’homme face à ses propres créations, que la nature et le temps parent d’une aura étrange à la nuit tombée, ou quand n’y passent plus que quelques voyageurs égarés.

STALKER / Andrej Tarkovsky

STALKER / Andrej Tarkovsky

Mais cité grouillante ou désert sans vie, ponts fantastiques jetés entre de vertigineux immeubles, entrepôt couvert de lierre ou ruine battue par les vents, toujours reste l’empreinte, immuable, de la solitude - et de l’immanence de la nature, éternelle, sur l’humain -.

Je me suis souvent demandé à quel point ce sentiment pouvait se traduire dans un vêtement. À quel point ce que nous avons sur le dos est-il le reflet de nous-mêmes, ou de l’environnement dans lequel nous nous fondons ? Où se trouve la frontière entre une extension de nous-même et la soumission à un endroit, une ambiance, un milieu ?

Comment mêler ce qui occupe le fond de notre coeur, notre univers idéal, version stylisée et syncrétique de films, de musiques et de livres, d’influences lentement digérées pour ne former plus qu’un tout intérieur, et la réalité parfois morne du quotidien, les contraintes professionnelles, sociales qui nous poussent dans un moule orwellien où tout le monde doit ressembler à son voisin ?

Dans mon cas : comment faire coïncider mon amour pour les chemises militaires qui ont l’air d’avoir traversé le Sahara et les errances mélancoliques d’un modèle dépressif pour tableau romantique ? Le désert et les architectures futuristes ?

lookbook isabel benenato

Pas exactement la même ambiance. À droite : Isabel Benenato FW16

Se fondre dans la masse

Cela se résume à mon avis en deux points :

  • Adhérer au milieu socio-culturel dans lequel on évolue et en adopter les codes (il est par exemple difficile de faire tomber la cravate dans le milieu de la banque),
  • Rajouter par-dessus ces codes une couche subtile et très personnelle qui transmet votre identité, en jouant sur des coupes, des matières, des accessoires, etc.

C’est une idée dont j’ai déjà parlé en long et en large dans un précédent article, et sur laquelle je ne reviendrai que très superficiellement.

Ça rejoint ce dont parlait Coco Chanel dans sa fameuse citation sur la mode, qui se démode, et le style, qui demeure : s’habiller avec un certain goût, au fond, c’est, soit être parfaitement excentrique (et dans ce cas, l’aspect “intérieur” prend le pas sur les codes extérieurs - certains rares milieux comme le monde de l’art l’autorisent), soit (comme 98% des gens) se fondre dans la masse. Éviter de se faire remarquer autrement que par son élégance et sa sobriété. Less is more, etc.

Au Pitti Uomo par exemple, où tout le monde adopte plus ou moins implicitement les codes de l’élégance italienne (costume/cravate/manteaux longs et accessoires), un type sapé en ninja sorti des pages d’un lookbook Lost & Found, fait… tache. Pire, c’est de mauvais goût. Alors qu’à la sortie d’une galerie d’art il passerait sans aucun souci.

ninja pitti

On a fait plus discret.

L’idée donc, c’est d’être discret. Mais d’avoir sur le dos un travail de coupes et de matières, une identité qui fait instantanément la différence.

Transit Uomo, du dark à l'italienne

Donc idéalement, et parce qu’on a tous un temps limité à consacrer à ce qui reste tout de même un loisir, trouver une marque qui nous représente bien (disons à 90%), mixer ça avec des pièces d’autres créateurs un poil plus marquées histoire de ne pas être un lookbook ambulant, et vogue la galère.

C’est un peu comme ça qu’il y a quelques années je suis tombé sur Transit. J’avais l’impression d’avoir atteint un palier et je tournais en rond dans ce que j’aimais, partagé majoritairement entre deux tendances : une plus minimaliste “relax” (avec des références comme Stephan Schneider) et une vraiment dark à la Rick Owens et compagnie, sans aucune possibilité de mixer les deux étant donné l’abîme qui sépare les deux univers.

marques dark homme

J’adore les deux, mais c’est un peu compliqué à assortir. A gauche : Stephan Schneider FW15 / A droite : Devoa SS14. Crédits Fascinate.jp

C’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser au dark italien.

Depuis une petite dizaine d’années, les environs de Milan sont un terreau de jeunes créateurs qui ont en commun avec leurs homologues japonais ou islandais une esthétique et des couleurs dark (noir/blanc/gris/teintes de terre), mais dans une approche purement italienne, de sprezzatura, décontraction, et un usage proéminent des matières “vivantes” qui se patinent avec le temps et leur porteur. Cela implique qu’on trouve beaucoup plus de teintes naturelles que chez les créateurs dark classiques, avec une gamme beaucoup plus tournée vers les teintes de gris et terre - crème, sable, kaki, etc. - que du noir/blanc).

Parmi les plus intéressants, on trouve Isabel Benenato, spécialiste du travail de la maille ; Poème Bohémien, le label de Nicola Coscho Berrini (malheureusement sans site officiel comme beaucoup d’entre eux) et la marque qui nous intéresse, Transit, qui se décline en deux lignes, Uomo et Par Such pour la femme.

Poème Bohémien SS15

Poème Bohémien SS15. Crédits Lyst.com

J’ai beau être sans doute un de leurs plus gros acheteurs français, je n’ai que très peu d’informations sur la marque en elle-même, qui reste injoignable et dont la description sur le site officiel est pour le moins succincte : marque italienne, familiale, originellement des façonniers pour marques de luxe et créateurs de la marque éponyme en 1994.

Tout ce que j’en sais finalement, c’est qu’ils font des vêtements vraiment beaux. Vivants. Qui respirent une identité détendue et élégante, sans être négligée. Portables et relativement passe-partout, et mêlant à la perfection cette esthétique du désert et de la ville dont je parlais plus haut. Bien coupés, pleins de finitions subtiles mais très simples d’apparence.

J’ai donc essayé avec des amis à moi de leur rendre justice et, au passage de faire quelques looks d’été un peu différents du t-shirt/chino, dans une utopie architecturale à côté de Noisy-le-Grand (et que vous avez sans doute déjà vu dans Hunger Games dont ça a été un des lieux de tournage) : les Espaces d’Abraxas.

Transit Uomo SS15

Transit Uomo SS15

Inspiration : des looks d'été homme aux influences dark

J’aimerais remercier les copains qui m’ont prêté main-forte pour ce shooting, et sans le talent desquels je n’aurais pas réussi à vous transmettre aussi bien ce que je souhaitais :

  • Matthieu Soudet, à qui on doit nos poses de poètes maudits et dont vous pouvez retrouver le travail sur sa page,

Look 1 - Vianney : le manteau d'été (oui, oui)

look dark homme ete

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look dark homme ete manteau

manteau ete homme

look dark homme ete

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Manteau & chemise Transit Uomo
Pantalon Lost & Found
Baskets 10sei0otto
Bagues yéménites en argent & ébène

On peut mettre un manteau quand il fait 25°C (bon, pas au-delà), mais il faut qu'il soit extrêmement léger, comme ce manteau de chez Transit. Non doublé, et en deux tissages : un jersey de coton sur l'arrière des manches et le dos, et un tissage traditionnel de lin sur le devant. La chemise est un modèle blanc en coton simple tissage, avec des boutons sous le col qui permettent d'attacher les pointes et de lui donner ce rendu "carré".

Pantalon dropcrotch ?À fourche basse. en toile beige, avec poche de cuisse carrée asymétrique. Une variation de coupe intéressante sur le chino classique qui permet de lui donner instantanément beaucoup plus de caractère et de décontraction.

Look 2 - Julien : une multitude de beaux détails

inspiration lin dark homme

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Chemise & pantalon Transit Uomo
Ceinture Sruli Recht
Baskets Rick Owens Dunk

Le truc intéressant dans Transit, et ce qui fait aussi leur faiblesse, ce sont tous les petits détails et le travail maniaque porté à la pièce, comme vous pouvez le voir sur les close-ups des deux dernières photos. Beaucoup d'encarts en maille, ce qui donne un charme certain à la plupart de leurs items, mais les rend également très fragiles.

L'intérêt ici est d'avoir ce côté plus Indiana Jones, avec une variation sur une saharienne classique, et un pantalon en lin assez lâche autour des cuisses. Une des spécificités de la marque est cette décontraction de leurs silhouettes, qu'on retrouve dans des coupes plutôt plus larges que la moyenne.

Mêlé à une ceinture Sruli Recht en cuir de vache coupé au laser et trempé dans de la cendre (pour de vrai, c'est le créateur qui fait des gants avec des dents de requin à l'intérieur), on obtient un look relativement passe-partout (gris/beige), mais très pointu et masculin.

Remarquez que c'est un look qui grâce à des coupes assez courantes, se marie très bien aussi avec une paire de sandales.

Look 3 - Vianney : jouer sur les variations de longueur

look dark homme contraste longueur

look dark homme contraste longueur

look dark homme contraste longueur

look dark homme contraste longueur

look dark homme contraste longueur

look dark homme contraste longueur

Veste Isabel Benenato
Chemise & pantalon Transit Uomo
Baskets10sei0otto

Un look beaucoup plus prononcé que les précédents, qui joue sur les différences de longueur et de couleur entre les différents éléments.

La veste, une pièce bleu pétrole dans une espèce de toile cirée non doublée de chez Benenato, avec la coupe assez particulière qu'ont beaucoup de ses pièces (épaules naturelles, manches longues et légèrement évasées, très longue, plus sur le devant que sur l'arrière, et les pans qui font une très belle courbe naturelle vers l'entrecuisse). J'aurais honnêtement du mal à la mixer avec un pantalon plus "ordinaire" : la fourche en dropcrotch et la matière beaucoup plus rugueuse font écho à la veste.

Chemise en lin crème de chez Transit, avec boutonnière cachée et détails particuliers de la marque comme la boutonnière plus longue que le corps de la chemise, surpiqûres grises, coupe longue et ample.

Look 4 - Julien : de nouvelles formes de col

chemise dark col homme

chemise dark col homme

look chemise dark homme

look chemise dark homme

look chemise dark homme

look chemise dark homme

Veste Transit Uomo
Chemise & pantalon Transit Uomo
Baskets Rick Owens Dunk

Variation sur le deuxième look, avec une chemise au col particulier. Sans rire, quand on l'attache complètement, on dirait que je sors de Cauchemar en Cuisine ou qu'on a casté un Hobbit supplémentaire pour Le Seigneur des Anneaux.

Cela en fait une pièce beaucoup plus affirmée qu'une simple chemise blanche. La tenue reste volontairement simple à cause de ce col, qui serait trop voyant si on le mêlait à des pièces plus créateur comme la veste Benenato précédente. On reste donc sur un pantalon assez discret, et une veste en lin assez lâche pour compléter la tenue.

Look 5 - Vianney : des couleurs foncées l'été

look sombre style dark homme

look sombre style dark homme

look sombre style dark homme

look ete dark homme

look ete dark homme

look ete dark homme

Trucker jacket denim/lin Robert Geller
Double layered T-shirt Silent by Damir Doma
Pantalon Transit
Monture vintage Oliver Peoples
Baskets 10sei0otto

Transit est à la frontière de deux univers. Ce n'est pas uniquement une marque "classique" un peu pointue, c'est aussi, et profondément, une marque dark (certaines de leurs grosses pièces d'hiver sont inmixables avec des marques moins créateur). Les vrais looks dark d'été "portables " sont rares sur le blog.

On reste une fois encore sur un minimum de pièces, mais chacune avec une identité très marquée, et puisqu'on est sur du dark, majoritairement des couleurs sombres (une des raisons pour lesquelles à mon avis c'est difficilement faisable au plus fort de l'été).

Même jeu sur les longueurs que le look avec la veste Benenato, mais au lieu de suivre le mouvement "long" du corps, je rattrape la silhouette avec une veste en jean beaucoup plus courte (pour garder un nombre de têtes harmonieux comme je l'expliquais dans cet article).

Le tee Silent ne serait pas allé avec la veste Benenato, déjà pour une question de couleurs (vert/bleu), et ensuite parce que le rendu est plus "fin" et allonge beaucoup plus le corps. C'est donc important de garder une pièce dans cet esprit, qui prend peu d'espace.

On arrive à un look quasi-monochrome mais intéressant par le contraste de matières et de couleurs (veste en jean mais manches en lin, gris/vert, tee-shirt avec double-couches, l'une plus longue que l'autre, vert foncé, dropcrotch gris, baskets gris/vert).

Look 6 - Julien : du dark discret

look dark soft homme

look dark soft homme

look dark soft homme

chemise blanche dark homme

chemise blanche dark homme

chemise blanche dark homme

Chemise & t-shirt Transit
Pantalon Transit
Baskets Rick Owens Dunk

Retour ici à un look et des tons plus classiques. Un des trucs intéressants avec Transit, c'est que même leurs pièces vraiment typées dark (comme ce dropcrotch) ont encore l'air assez banales si on n'y regarde pas à deux fois.

Le volume autour des cuisses est assez faible comparé à un même modèle chez un créateur différent, plus dark traditionnel (Rick Owens ou Damir Doma par exemple), ce qui lui confère une vraie polyvalence. C'est quelque chose qu'on retrouve également chez Poème Bohémien : une volonté très italienne de garder des coupes sans ostentation.

Chacune des pièces ici est du dark, du dark marqué même, mais on arrive quand même à un look assez muraille : coupes sobres, couleurs gris/beige, y compris pour les baskets qui font partie des excellents modèles de Rick Owens. Impossible de faire ça avec des Geobasket.

Le gros coton de la chemise et les deux poches poitrine rigidifient le haut, contrebalançant un bas plus fluide. Pour cette raison, la remplacer par, mettons, la chemise en lin du look 3 serait idiot : trop ample, trop longue, trop fluide.

Look 7 - Vianney : du dark tailoring

look tailoring dark homme

blazer dark homme

look tailoring dark homme

blazer homme trimatieres

sneakers 10sei0otto

Veste Ute Ploier ; chemise Transit ; pantalon Lost & Found ; Baskets 10sei0otto.

Variation sur le look #1 : en changeant une pièce, on a un feeling totalement différent. Le premier est un look assez casual. La veste - une de mes préférées - vient d'une créatrice dont la ligne est morte depuis 2013 mais qui faisait des trucs absolument géniaux. Ici, une combinaison entre du tissu matelassé, un pied de poule et un bleu plus clair à petits carreaux.

C'est l'exemple même d'une superbe pièce créateur : de loin, elle est bleu marine. Bleu marine, blanc, beige, plus classique tu meurs. Mais elle éclôt comme une belle fleur dès qu'on se rapproche un peu, avec un travail absolument superbe sur la matière.

Ce côté smart forme un contraste très intéressant avec les baskets, qui sont beaucoup plus brutales. Mais c'est une des raisons pour lesquelles je les aime bien : avec des chaussures simples (bottines ou derby), ou même les Dunk RO utilisées plus haut, le look manque un peu de saveur. Trop lisses.

C'est un look qui fonctionne à l'inverse du #3 : une coupe courte et boxy, sur une chemise avec une courbe inférieure très peu prononcée, et pas mal de volume aux cuisses pour compenser l'aspect étriqué du haut. Hop.

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Un des buts de cet article était de vous montrer comment, avec des pièces assez marquées, on peut quand même arriver à passer d'un univers à l'autre : casual, smart, dark ou plus militaire...

Tout est une question de twist et de contexte de la pièce au fond. D'où l'importance d'acheter des vêtements que vous pourrez assembler, réutiliser, et ne pas marcher au coup de cœur (bon j'avoue j'en ai aussi, le manteau du #1 est un pur coup de coeur, et je ne regrette pas du tout de l'avoir acheté ^^).

Vous retrouverez des pièces Transit chez La Piscine ainsi que chez Elevation Store.

(Pour les curieux, j'écoutais ça en boucle en écrivant. Mettez-y cinquante minutes, il y a toujours pire que de les passer sur Tangerine Dream)

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